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Camp de gitans – Vladimir Lortchenkov

Camp de gitans, c’est d’abord une entrée en matière plus que sous tension. C’est intensément que le lecteur plonge au cœur du récit. Le compte à rebours démarre dès les premiers instants, les principaux chefs d’États sont tous présents, pris au piège lors d’une Assemblée générale des Nations Unies. Tout est réuni pour tenir en haleine ; la tension d’un plan diaboliquement impeccable, l’humour corrosif de l’auteur moldave Vladimir Lortchenkov et ces figures de géants politiques, ultra-célèbres, d’Obama à Berlusconi en passant par Poutine et Sarkozy. Bref, l’engouement est total et sans concession, l’information est dense, la connivence avec l’auteur est parfaite.

Puis, il faut noter que l’emportement émotionnel retombe assez fortement pendant un long moment de lecture. Si cet essoufflement est bien entendu cadré, désiré et parfaitement maîtrisé, on regrette quelque peu de ne pas retrouver les temps forts de l’incipit. Et pourtant, Vladimir Lortchenkov nous réserve de très grands instants de littérature, drôles, cyniques ou absolument terrifiants. Une voix puissante qui sonne violente et désespérée, digne héritière des grands de l’Absurde.

« Elle rongea la corde pour la couper en deux parties qu’elle fixa à une branche, puis vérifia les nœuds coulants. Elle prit le plus jeune en premier. Rodica savait qu’elle devrait se pendre en dernier, après avoir vérifié que ses enfants étaient bien morts. Car si l’un d’eux survivait, faible et sans défense, il se ferait forcément dévorer par une meute de chiens revenus à l’état sauvage, voire par des gens. »

Les personnages sont des caractères poussés à leur extrême, grands illuminés et porteurs d’une parole démente. Mais ils incarnent des figures absolument abouties qui cristallisent des instants d’une grande force et d’une belle poétique. C’est là toute la grandeur de l’auteur qui manie avec perfection le mélange des registres. Inutile de tenter de résumer l’œuvre, elle est bien trop riche et versatile, je vous laisse donc le plaisir de la découverte.

« Mère maïs, où que tu danses, partout subsistent quelques-uns de tes osselets, ces grains jaunes que nous ramassons sans regarder ton visage, parce que celui qui y jettera un œil s’en ira danser pour toujours au champ avec toi, et les mères cachent leurs enfants lorsqu’elles entendent tes grains frapper le sol […] »

Vladimir Lortchenkov, écrivain et journaliste, aux allures de jeune prodige, a également écrit Des mille et une façons de quitter la Moldavie qui annonce son propre départ pour le Canada en 2014. Une migration donc, par choix, qui résonne activement avec l’actuelle question de l’accueil de ceux qui fuient leur pays d’origine en quête d’une vie meilleure. Un ouvrage de très grande qualité au cœur duquel on prend grand plaisir à se perdre.

camp de gitans Mirobole Éditions

Trad. Raphaëlle Pache

Août 2015 – 376 pages

Lucie

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Chroniqueuse

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