Franck Prévot & Régis Lejonc- Oddvin, le prince qui vivait dans deux mondes

Dans les contrées anciennes et mystiques de la Norvège, un roi donne un banquet somptueux et abusif en l’honneur de la naissance de ses trois fils, chacun pourvu d’un signe distinctif plutôt inhabituel. L’ainé a une langue en or, le benjamin des yeux en or et le cadet des oreilles en or, infirmités éclatantes que le père proclame comme étant des dons des cieux pour récompenser sa propre richesse: «Je suis devenu si riche que de l’or coule dans mes veines! Qui sait si les trois prochains ne seront pas des statues dorées tout entières.»
Chaque prince se vera décerné un animal compagnon, qui palliera à leur handicap respectif: un perroquet pour exprimer les pensées, un chien pour alerter et décrypter les sons et enfin un renne pour guider les déplacements. Au fil des années, les jeunes garçons développent des caractères profondément différents, tenant plus de l’autorité égoïste de leur père ou de la surprotection aveugle de leur mère. Seul Oddvin, l’enfant aux yeux d’or, préfère le calme de la toundra et l’immensité des forêts, arpentant des hectares entiers en compagnie de Pernelius, son fidèle renne avec lequel il a même développé un langage propre.

Pendant ce temps là, le Roi et la Reine continuent à organiser de véritables orgies, des fêtes de plus en plus spectaculaires payées grâce aux impôts croissant prélevés au peuple et à leurs ressources confisquées. De plus en plus cupide et vénal, le despote va mener son royaume à sa propre perte, incitant les paysans devenus vagabonds à se soulever, attaquer le chateau et à égorger tous ses occupants.
Oddvin est sauvé par sa soif de nature et sa hantise de l’opulence de son foyer. Porté au loin par Pernelius, il échappe au même sort que celui infligé à sa famille. Les deux amis s’enfoncent alors de plus en plus profond en direction du Nord, entamant un voyage initiatique qui les amènera là où jamais homme n’a posé pied. Sur le chemin, Oddvin rencontre l’hermine, la chouette Harfang, le loup arctique, le renard polaire et enfin Nanuq, l’ours blanc frère des hommes. A leur contact, le jeune prince sans royaume va renouer contact avec la nature profonde de toute chose, va retrouver l’essence même de la Terre et ainsi préparer son cœur à recouvrer son peuple.
Aguerri et sensibilisé à la cause même de chaque être, il retourne alors pour la première fois sur les restes défigurés de ce qu’il reste du vaste et opulent château de son père, se rendant vraiment compte pour la première fois de tout le malheur et l’oppression qu’il a pu engendré, porté par son égoïsme et sa soif de richesse. Devenant lui ainsi que le reste de sa famille plus aveugle qu’Oddvin ne l’a jamais été, le Roi a cessé d’écouter son cœur.

Franck Prévot prend la plume pour écrire ce conte aux inspirations nordiques, merveilleusement illustré par Régis Lejonc (Le jardin du dedans-dehors avec Chiara Mezzalama), qui mêle bandé-dessinée et album, agrémenté d’enluminures typiquement slaves. Entre la narration rythmé et les illustrations époustouflantes et colorées, Oddvin, le prince qui vivait dans deux monde est tout à la fois dépaysant et porteur d’un message fort: celui du respect, de l’écoute et de l’empathie.
En mêlant monde humain dénaturé et monde animal philosophique, les deux auteurs redéfinissent la place de l’être humain et de la hiérarchie naturelle et civilisée, le tout en seulement quelques pages. Évoquant la triste nouvelle d’Alphonse Daudet La légende de l’homme à la cervelle d’or, Oddvin remue et permet de se recentrer sur l’état et l’écoute plutôt que sur le matériel et l’accumulation vénale.
Une belle morale, surtout en ces temps de consumérisme croissant, à partir de 8 ans.

Editions HongFei Cultures
40 pages
Caroline