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Joël Casséus – Crépuscules

Beaucoup du plaisir de lecture passe par la couverture d’un livre. N’est-ce pas ce qu’il est le plus communément admis ? Une belle couverture attire l’œil, pique la curiosité, fait bien vendre. Certaines maisons d’éditions élaborent avec beaucoup de minutie des identités visuelles pour être reconnaissables en un coup d’œil, dès cette fameuse couverture.

Mais, qu’en est-il des couvertures étranges, biscornues, indéchiffrables ?
Mais, qu’en est-il de la couverture de Crépuscules, ce roman aussi troublant qu’audacieux, signé Joël Casséus ?

Les éditions du Tripode se définissent à partir de trois segments : littératures / arts / ovnis. Pas étonnant alors de trouver dans leur catalogue cette couverture extra-ordinaire, sublime sortie de route des canons faciles, ovni graphique annonçant l’ovni littéraire qu’elle recouvre.

Des lettres tordues au tracé tremblant semblent ne former aucun mot, semblent nous désorienter. La couverture est épurée et tourmentée. Sur une couleur sable, les lettres ressemblent à des morceaux de ferraille tordues surgissant de la terre.
Le tout annonce parfaitement le livre que l’on tient entre les mains.

On pourrait ainsi résumer Crépuscules : un récit épuré où chaque mot compte, à la langue savamment minimaliste. Ce qu’il raconte est le tourment des hommes, rescapés d’une guerre qui n’a aucun début ni aucune fin, dans un pays qui n’a pas de nom. Tourment également du lecteur qui jongle avec les multiples voix qui forment le récit, où chaque personnage possède un paragraphe, où il s’agit de rester concentré pour savoir qui parle à propos de qui.
Un père alcoolique regrettant son ancienne vie. Sa femme castratrice enfermée dans sa misère. Ses jumeaux qui tutoient la frontière avec le règne animal. Le tenancier du bar qui essaye de se poser le moins de questions possibles. Un type aux iris fêlés comme un miroir brisé qui vient d’arriver dans cette ville du bout du monde accompagné de sa femme enceinte.
Qui sont tous ces gens ? Qu’ont-ils vécu ? Que désirent-ils, désormais que la guerre leur a tout pris ? Ils attendent, ils dorment dans des wagons dont le toit menace de s’effondrer et ramassent de la ferraille pour se faire un peu d’argent. Parfois, ils pensent à tous les morts qui les entourent et ils savent qu’ils seront les prochains. Parfois ils font des rêves où ce n’est plus de la ferraille qui sort de terre mais des légumes, comme avant. Puis ils se réveillent, leurs draps mouillés de désespoir.

Au fond, c’est bien plus que cela. C’est le récit des espoirs au crépuscule. C’est le récit de l’humanité au crépuscule. Le genre humain voisine avec les bêtes sauvages et les soldats qui font la guerre sont des fœtus, sosies de la créature visqueuse et indéfinissable d’Eraserhead de David Lynch. La narration éclatée fait écho à cette ambiance d’après l’apocalypse, à ce monde pareil à mille morceaux de verre éparpillés dans la boue.

Des 156 pages qui composent le récit, on retient l’inquiétante étrangeté de cette écriture éthérée, à la fois précise et poétique, incarnant le cauchemar où errent chacun des personnages.

« La route dévale une plaine et je passe une zone enfumée portant l’odeur de charniers. Je reste un moment et j’observe un bourg anonyme purgé de vie et dont des traces de violence suintent des toiles de tente déchirées virevoltant dans des volutes de fumée épaisse issues des déflagrations meurtrières. Dans le silence épais et persistant, le claquement de la toile de tente ensanglantée ressemble à un futile drapeau blanc agité après les combats. »

On ne peut pas sortir indemne d’un tel livre. Sa lecture est marquante. On est tout à la fois hypnotisé par sa beauté et son étrangeté et terrifié par sa portée. Le corps frissonnant devant ce qui pourrait être la description de ce qui nous attend.

Surtout, on est bouleversé par tant de virtuosité, d’élégance et d’audace.

Alexandre

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Crépuscules
Joël Casséus
Editions Le Tripode
Illustration de couverture de Anthony Folliard
156 pages – 2018

À propos Alexandre

Chroniqueur

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