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L’homme qui mit fin à l’histoire – Ken Liu

Et si la physique découvrait le moyen de voyager dans le temps ? Nous avons déjà pu le lire, par exemple, dans Le faiseur d’histoire de Stephen Fry ou La théorie des cordes de José Carlos Somoza. Que ce soit pour la modifier ou juste la contempler, l’histoire finit souvent par reprendre ses droits sur le fil du temps et nous montrer que certains événements, s’ils ne semblent pas inéluctables en eux-mêmes, sont malgré tout amenés à se produire sous une forme plus ou moins violente, et que son observation même a un prix.

Mais quelles seraient les implications méthodologiques et épistémologiques d’un regard en arrière ? Comment cadrer ces nouvelles méthodes d’observation, les analyser ? Et qui doit regarder ?

Akemi Kirino, une scientifique nippo-américaine a découvert le moyen, grâce aux photons, de voyager dans le temps en tant qu’observateur. Problème : une fois le voyage vers un moment fait, il est impossible d’y retourner, lois de la physique oblige… Notre scientifique collabore avec son conjoint, Evan Wei, chercheur sino-américain en histoire, et ensemble ils vont vouloir prouver les crimes abominables commis pendant la guerre sino-japonaise par l’unité 731. Cette unité peu connue de par chez nous et dont la reconnaissance a été plus que laborieuse pour le Japon, a profité de la domination japonaise en Mandchourie pour faire des expériences sur des prisonniers de guerre : inoculation de maladies, entraînement à l’opération à vif, viols…
Mais notre historien se retrouve entraîné dans l’émotion de son projet et décide d’envoyer dans le passé les descendants des victimes, provoquant là un tollé car les observateurs ne sont ni formés à l’histoire ni à la recherche, et ne pourront par la suite être des témoins fiables pour la recherche, voire la justice. Le tollé ne s’arrête pas là car bien évidemment le Japon, refusant toujours de reconnaître ce qui a pu se passer en Mandchourie à cette époque va tout faire pour discréditer le travail de Wei, et les États-Unis, qui ne manquent pas une occasion de se mêler de tout, avaient à l’époque via le général MacArthur accepté une impunité sur les crimes commis en échange des travaux qui en étaient issus. Ceux-ci auront donc une certaine tendance à vouloir couvrir le Japon contre l’ennemi chinois.

Vaste sujet, donc, et complexe s’il en est. Ken Liu a choisi ici la forme du documentaire pour retracer l’histoire des professeurs Kirino et Wei, et les conséquences de leur découverte et son application. Nous découvrons tout cela sous une forme scénarisée, mouvements de caméra et description des plans inclus, et plongeons au cœur de la polémique.
Le grand talent de Ken Liu est de mener ce sujet sensible et aux implications multiples avec une absence totale de manichéisme et de jugement moral. Il parvient à mettre en avant les différents arguments de chaque partie avec beaucoup de finesse, et ni le professeur Wei, historien passionné qui s’empare de son sujet avec une démarche humaniste à faire frémir n’importe quel chercheur et qui finit par se faire dévorer par lui, ni ses détracteurs, ne tiennent une position de bon ou de méchant. Le questionnement transcende cela et pose la question de la démarche de recherche, du point de vue du chercheur et de la légitimité du témoin.

Intense et dérangeant, le texte ne tombe jamais non plus dans le voyeurisme, la violence gratuite et l’étalage d’atrocité. L’homme qui mit fin à l’histoire est un récit brillant, de ces histoires qui dépassent la littérature et pousse le lecteur à s’interroger sur des questions délicates. Le but n’étant pas forcément de trouver des réponses, car celles-ci n’existent peut-être pas, mais Ken Liu nous rappelle avec brio que la démarche de recherche amenant à réinterroger constamment nos résultats et les postulats qui en découlent doit absolument s’appliquer à tout questionnement dans notre vie, et que les réponses évidentes n’existent pas. Un texte indispensable.

(c) Aurélien Police
(c) Aurélien Police

107 pages
Traduit par Pierre-Paul Durastanti
Le Bélial
Collection Une heure-lumière
Couverture par Aurélien Police
Marcelline

À propos Marcelline

Chroniqueuse/Co-Fondatrice

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