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L’ivresse des dieux – Laurent Martin

Grand prix de littérature policière en 2003 (oui, oui il y a plus de 10 ans je sais.) L’ivresse des dieux de Laurent Martin a hélas sombré dans l’oubli. Cela est fort dommage car il s’agit d’un texte exceptionnel – d’ailleurs tous les textes de Laurent Martin le sont donc n’hésitez plus et foncez ! – .

C’est l’histoire de Max. Max vit à Marne-la-vallée avec Médor le chien. Max Ripolini est flic. Avant il était artiste, mais il est devenu flic parce que être artiste ça ne paye pas. Max a perdu son ex-femme, assassinée. Max va mal, Max sombre, Max boit. Il boit et boit encore pour oublier la vie, pour oublier la mort et surtout pour oublier que le monde est sans lumière.

«  Que dire, sans être méchant, sur la vie de Max Ripolini ? Rien ! L’appartement qu’il occupe est spacieux. Trop spacieux même. Quatre grandes pièces. Le vide l’occupe en permanence. Max et le chien Médor ne font qu’y passer et dormir. Une acquisition d’avec son ex-femme, partie un soir de novembre après que Max fut revenu semi-comateux de l’arrivée du beaujolais nouveau. Max boit. Il s’assomme, s’abîme, se noie, tous les soirs, d’éthanol spiritueux. »

On ne peut rester insensible à cette plume désespérée, cri d’alerte d’une âme en suspens, l’âme de Max qui ne supporte plus son propre poids. Impuissance de l’Homme face au destin, ce destin implacable, inébranlable qui nous toise d’un air moqueur et fait de notre vie une tragédie sans cesse renouvelée, pathétique et cruellement belle.
Parlons-en d’ailleurs de la tragédie car c’est la forme qu’a choisi Laurent Martin pour développer son roman. Il s’agit en effet d’une tragédie urbaine, fascinante composition contemporaine et véritable voix originale que l’on voit finalement assez peu dans le roman noir et qui apporte une tension amenée autrement que par l’injection d’adrénaline.

«  Voilà deux mille cinq cents ans que les Grecs ont inventé la tragédie,la cité et l’enfer. Deux mille cinq cents ans qu’on vit avec et que rien n’a vraiment changé. […] Cérémonie, rite, culte, en l’honneur des dieux, de Dionysos en particulier, la tragédie raconte des événements marquants, les DIEGESIS, ou bien les imite, les MIMESIS . Tout commence par l’arrivée du chœur, la PARODOS, tout s’achève par sa sortie silencieuse, l’EXODOS . Alors le héros demeure seul, et souvent s’en va rejoindre l’enfer. Deux mille cinq cents ans qu’ont vit avec et que rien n’a vraiment changé. »

Voici donc la tragédie de Max. Celle d’un homme qui en traque un autre pour assouvir une vendetta, un chagrin bien plus fort que la mort. Celle d’un homme banal et l’autre voix, celle d’un homme névrosé qui tue et défigure des femmes dans un acte qui le dépasse et le ronge. Le combat de ces deux hommes est lancé, ces deux hommes finalement si proches et mis KO par la vie.

Voilà, tout est dit, le reste ne serait que du superflu. Difficile de jacasser sur une plume aussi belle et juste. Laurent Martin s’impose comme un orfèvre du désespoir et nous transporte loin dans les brumes ténébreuses d’une vie éprouvée par son propre poids.
Allez et comme on est sympa, voici un dernier extrait en espérant que cela vous touche et que vous irez vous précipiter chez votre libraire pour vous procurer cette poésie urbaine.

« On n’explique pas. Lui-même, il ne comprend pas. C’est comme une surgravitation. Il fait des efforts. Mais à force de représenter le monde tel qu’il n’est pas, Max, comme tous les artistes, dès qu’il revient sur terre, devient malade, lourd, lent. Certains se tirent une balle dans l’âme. D’autres se perdent définitivement dans les abîmes ocrés des paradis artificiels. Les derniers, les moins atteints, ceux qui croient encore à la vie réelle, se désolent lamentablement. Sur eux-mêmes. C’est Max. Une vie réelle rongée par une douleur infectieuse, usante. »

url  Éditions Gallimard, série noire

250 pages

Gwen

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Chroniqueuse

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