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Nnedi Okorafor – Qui a peur de la mort

Ma vie s’est effondrée quand j’avais seize ans. Papa est mort. Il avait le cœur solide, et pourtant il est mort. A cause de la chaleur et des fumées de son atelier de forgeron ? Rien ne pouvait le distraire de son travail, de son art. Il aimait faire plier le métal, le soumettre à sa volonté. Son travail n’avait jamais semblé que le rendre plus fort ; il était si heureux , dans son échoppe. Qu’est-ce qui a bien pu le tuer ? Aujourd’hui encore, je n’en suis pas sûre. J’espère que ça n’a aucun lien avec moi ou avec ce que j’ai pu faire alors.

Première publication en France, “Qui a peur de la mort” de la romancière américaine Nnedi Okorafor est un ovni littéraire. Précédemment publié dans la collection Eclipses de Panini vite abandonnée, le voici revenu avec une superbe couverture, chez ActuSf, dans la collection Perle d’épice.

Marquée par ses origines nigériennes, l’écrivaine nous plonge dans un roman tumultueux au cœur de l’Afrique. Tantôt roman d’aventure fantasy, tantôt science fiction post apocalyptique dans un lointain futur, “Qui a peur de la mort” brouille les genres et les codes pour offrir une aventure hors normes.

Onyesonwu est “ewu”, ce qui signifie qu’elle est née d’un viol. Cela la marque physiquement, lui donnant une peau et des cheveux couleurs de sable, mais aussi mentalement, en la mettant au ban de la société. De par sa condition, ne lui est promis qu’une vie de violence et de douleur. Elle est aussi “eshu”, en contact avec le monde des esprits, et peut se transformer en animal. Il a été dit dans une prophétie qu’elle serait une puissante sorcière et mettrait fin à la guerre entre les Okékés, peuple d’esclaves dont est issue sa mère, et les Nurus, un peuple guerrier et belliqueux dont est issu son père, un sorcier incroyablement puissant à l’origine du conflit qui ravage le pays.

Il y a des milliers d’années, lorsque le pays n’était encore que sable et arbres morts, Ani posa les yeux sur son domaine. Puis elle créa les Sept Rivières et les fit se rejoindre pour former un lac profond. « Un jour, dit-elle, je créerai de la lumière. Pour l’instant je ne suis pas d’humeur. » Elle se retourna et s’endormit. Dans son dos, les Okekes sortirent de ces douces rivières. Ils étaient tous aussi agressifs que ces rivières bouillonnantes. Au fil des siècles, ils se répandirent sur les terres d’Ani et créèrent et utilisèrent et changèrent et altérèrent et répandirent et consommèrent et se multiplièrent. Ils bâtirent des tours, construisirent des machines, se battirent entre eux, inventèrent. Il plièrent et déformèrent le sable d’Ani, son eau, son ciel, son air, prirent ses créatures et les transformèrent. Lorsqu’Ani se fut assez reposée, elle se retourna. Et ce qu’elle vit l’horrifia. Alors elle tendit la main parmi les étoiles et tira le soleil vers ses terres. Du soleil, Ani arracha les Nurus et maudit les Okeke.

Dans une société profondément patriarcale, il est difficile pour Onye d’apprendre à utiliser ses pouvoirs naissants. Elle devra pour cela convaincre le vieux Aro de la former. Mais ce dernier refuse catégoriquement de prendre une apprentie, qui plus est une ewu. Tout au long du roman la question du genre se pose, le rôle et la place des femmes dans la société africaine, le droit des femmes à disposer de leur corps et de leur destin, d’apprendre et de vivre comme elles l’entendent. De par son caractère rebelle et anticonformiste, l’héroïne n’hésite pas à briser les codes, et à questionner les traditions, telles que le viol comme arme de guerre, l’excision ou encore la passivité des femmes dans les rapports sexuels.

“Nous avions appris comment fonctionnait le pénis d’un homme.
Mais nous avions omis le passage sur le plaisir féminin.

Récit d’apprentissage, nous suivrons Onye tout au long de sa vie, de l’enfance à l’âge adulte. Nous la verrons grandir, et verrons se construire ses convictions humanistes et féministes. Plongeant dans un amour de la vie et une volonté farouche de survivre et de se venger de son père, elle fera face à de nombreuses épreuves et injustices, avec discernement et humanité, pour réussir à soulever un peuple et renverser une société fondamentalement oppressive.

Bien qu’américaine, Nnedi Okorafor est clairement imprégnée de sa culture ghanéenne, et nous emmène dans une Afrique de chaleur et de sorcellerie, au milieu d’une guerre ethnique d’une grande violence. Loin des vieux classiques de la fantasy avec ses mages et ses sorcières, “Qui a peur de la mort” propose une magie basée sur la superstition et les croyances. Le savoir donne accès à la magie, aux charmes et aux “Juju”, un pouvoir férocement gardé et réputé terriblement dangereux. Entre ville gigantesque et petits villages cachés au creux des déserts, religion et légendes africaines qui soudainement prennent vie, l’émerveillement est constant, et le danger caché derrière chaque nouveau phénomène. Un décor de saga de fantasy, et en toile de fond, une civilisation futuriste dont le déclin a eu lieu quelques dizaines d’années plus tôt.

“Nous restâmes là, à nous regarder, un instant.
– Tu as des yeux de tigre, dit-il. Et ces animaux se sont éteints voilà des décennies.
– Vous avez des yeux de vieillard, rétorquais-je. Et les vieillards n’en ont plus pour longtemps.”

Dans les veines d’un Kourouma ou Mia Couto qui écriraient des romans d’aventure, Nnedi Okorafor nous raconte les grands bouleversements de l’Afrique. La guerre fratricide rappelle le carnage du génocide Rwandais, l’esclavagisme et les restes d’anciennes sociétés capitalistes sont les fragments de l’histoire coloniale, le viol et l’enrôlement des enfants utilisés comme des armes de guerre attaquent une réalité malheureusement encore présente…

Un roman d’aventure atypique, profondément engagé et social, d’une écriture et d’un souffle flamboyant, “Qui a peur de la mort” est une pépite littéraire aux échos particulièrement actuels et qui frappent incroyablement juste.

Un vrai plaisir de lecture.

Qui a peur de la mort
Nnedi Okorafor
Editions ActuSf
Collection Perle d’épice
550 pages

Paco

PS: un autre point de vue sur le roman, par Marcelline, à l’occasion de sa première parution aux éditions Panini : ICI

 

 

 

À propos Paco

Chroniqueur

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Un commentaire

  1. origine Nigérienne pas Ghanéenne

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