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La peinture à Dora – François Le Lionnais

La peinture à Dora, de François Le Lionnais, est paru le 14 novembre dernier chez Othello, label du Nouvel Attila, pour les textes dits « mutants ». C’est le mot juste.

Ingénieur chimiste de formation, comme Primo Levi,Le Lionnais est également co-fondateur de l’OULIPO avec Raymond Queneau, théoricien des échecs, créateur des premières émissions scientifiques à la radio et bien d’autres choses. Une vie fascinante et une biographie que Le nouvel Attila a publié le même jour, également chez Othello, sous le titre de « Le disparate, François Le Lionnais» par Olivier Salon.

Le présent texte est très court et dit beaucoup pourtant. C’est un témoignage, un récit à la première personne sur la survie, mais plus encore, sur une victoire. La victoire de l’art, du beau et de l’intelligence sur l’horreur.

Dora. Un joli nom, un nom de femme. Dora-Mittelbau, dépendance du camp de Buchenwald dédié à la fabrication des missiles V2. Des prisonniers au service de la mort. Le cynisme de la guerre. Rien de nouveau.
C’est là que François Le Lionnais, résistant de la première heure, fut interné après son arrestation par la Gestapo, quelques mois avant la fermeture du camp en avril 1945. Il ne se contenta pas d’y saboter la mécanique des armes, c’est la logique même de la mort qu’il mit alors à mal, en décrivant à ses codétenus, quotidiennement et avec force détails, pendant l’appel, des œuvres picturales de tous styles et de toutes époques.

La peinture à Dora parle d’une évasion, offerte à soi-même et aux autres, par l’art, et en esprit. Il est également question des échanges privilégiés avec l’un de ses codétenus, Jean Gaillard, qui lui, ne survécut pas au camp.
Le Lionnais narre comment il ravive le souvenir, avec et pour son compagnon, puis réinvente les œuvres, en invente d’autres, mêlant les détails de différents tableaux en un jeu de décomposition-recomposition, de dialogue avec et entre les personnages ainsi (dé)peints. La musique et les mathématiques sont également fortement présentes dans cette lutte contre l’enfermement et l’absurdité de la terreur.
C’est en cela que la logique mortelle est déjouée. Rien ne meurt en esprit. La mémoire a ses devoirs, nécessaire, mais aussi de grands pouvoirs. Pouvoir de réconfort, même passager, pouvoir de création, grâce aussi aux creux qui s’y nichent, manques autant qu’espaces de liberté.
En esprit, Le Lionnais décompose volontiers, point de destruction, jamais, mais des jeux avec la mémoire et les choses, des assemblages, liens créés, œuvres réinventées. Il peint également, en pensée, des œuvres qui ne seront vues d’aucun œil, sinon intérieur. Le mathématicien rattrape alors l’artiste.

“Emporté par mon élan, il m’arrive parfois d’aller plus loin et de concevoir, dans mes instants les mieux aiguisés, des tableaux singuliers […] Je rêve à des fresques qui comporteraient des pôles à l’infini, à d’autres dont les lignes seraient des fonctions sans dérivées, à d’autres encore, multivalentes, dont la complexité ne se pourrait débrouiller qu’au moyen de sortes de “Surfaces de Riemann”, à mille sortilèges aussi peu sérieux…”

Au-delà du texte, c’est toute une vision qui est mutante. En contextualisant ainsi une œuvre, tant d’œuvres, ce texte transcende le témoignage et rappelle la nécessité de l’art, tout sauf futile, au service de la vie.

“Où êtes-vous souvenirs de la Passacaille de Bach jouée au cours d’une désinfection particulièrement redoutable, du Quintette pour clarinette de Mozart, dont les volutes argentées s’enlaçaient au thème infect de la dysenterie, du XIe Quatuor de Beethoven, grondant sa révolte au lendemain d’une série de pendaisons particulièrement bien réussies, et de toutes ces angéliques visitations de poètes – Shelley, Rimbaud ou Éluard – qui se firent plus pressantes au moment de la grande faim?”

On croise au fil des pages Bosch, Véronèse, Breughel, Duchamp, Botticelli, Ernst pour n’en citer que quelques uns. Des détails de tableaux évoqués dans le texte sont reproduits dans l’ouvrage.
La couverture même, composée par César Henry, se prête joliment à l’exercice et contribue à faire de ce petit bouquin une réussite visuelle en plus d’un message à mettre entre toutes les mains.

cv-peinturedora-rvb

Othello,

Le nouvel Attila,

48 pages,

Héloïse

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Chroniqueuse

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