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Rebelles ordinaires
Bérangère, Sandra, Luc et Guillaume

Rencontre avec les rebelles ordinaires de La Rochelle

Malgré la chaleur caniculaire de ce mardi après-midi de juillet, la salle du rez-de-chaussée de le nouvelle librairie indépendante et solidaire du centre ville de La Rochelle est déjà bien remplie. Les trois rebelles ordinaires qui s’activent dans les rayons et derrière le comptoir semblent ravis du succès de leur projet quelques jours seulement après son lancement alors qu’ils ne disposent que d’un tiers de leur stock. Rencontre avec Guillaume, Bérangère et Sandra, les trois rebelles ordinaires présents ce jour-là.

Sonia (UDL) – Pourriez-vous rapidement vous présenter pour nos lecteur.trices ?

Guillaume  Moi je m’appelle Guillaume, j’ai 38 ans. J’ai eu une expérience dans le milieu du livre où j’ai travaillé dans l’édition, le journalisme et en librairie. J’ai eu plusieurs postes sur Paris et à La Rochelle et une expérience aussi dans le milieu de la nuit. Ces deux expériences aboutissent à l’idée de gérer ce lieu comme un bar à livres, c’est-à-dire un endroit très festif mais où au lieu de faire la fête autour de trucs qui abrutissent les gens, on leur donne plutôt de quoi augmenter, ouvrir leur univers personnel. On leur donne plutôt de la nourriture que de la boisson, même si on fait des fêtes, on est à la deuxième depuis dix jours d’ouverture, c’est pas mal, on commence à être réputé. (rires) Mon métier c’est de mener les gens au livre qui leur convient, pas de leur donner quelque chose à lire que j’aurais décidé arbitrairement, selon ce qu’il faut lire. Mon métier, c’est de connaître tout ce qui se fait et de pouvoir aiguiller les gens vers des envies qu’ils ne connaissent peut-être pas eux-mêmes en entrant.

L’entretien est interrompu quelques secondes par l’entrée de curieux.euses. Les rebelles ordinaires les accueillent chaleureusement. Sandra et Bérangère partent à leur rencontre, l’entretien se poursuit avec Guillaume.

Guillaume – Dans les supermarchés culturels tout le monde se sent apte à entrer, comme sur les sites internet de vente, mais personne n’est accueilli. Nous, nous souhaitons que les gens se sentent aptes à entrer mais qu’en plus ils soient accueillis, et notamment des personnes qui se sentent illégitimes, montrer que toutes les littératures sont des littératures, qu’on peut aussi bien lire de la S.F. que des livres de jardinage, il n’y a pas de gradation, ce qu’il faut lire et ce qui serait de la merde.

Sonia (UDL) – Comment allez-vous vous y prendre justement pour toucher un très large public ?

Guillaume – Déjà le lieu, il est plutôt cool ! La déco n’est pas celle d’une librairie classique, la sélection non plus. On mise avant tout sur le lien humain et sur les événements avec notamment beaucoup d’ateliers gratuits dès que l’espace du haut sera ouvert.

Sonia (UDL) – Quels genre d’ateliers par exemple ? 

Bérangère (qui nous a rejoint) – Ça va être très divers avec des ateliers, par exemple, de développement de l’imaginaire pour les enfants et pour les adultes. On pense aussi créer un journal pour les ados, leur apprendre à aller chercher les infos et les vérifier. Pour les adultes, il y aura un accompagnement pour les gens qui veulent se mettre ou se remettre à la lecture.

Guillaume – On y avait pas forcément pensé au départ parce que l’on trouvait ça un peu prétentieux de dire “on va vous aider à vous remettre à la lecture” mais en fait, on a une vraie demande. Il y a plein de gens qui, voyant qu’on est cool, qu’on les juge pas, qu’on ne représente pas une certaine forme d’intellectualisme nous disent “ça a l’air sympa là vos bouquins mais moi je lis pas” ou “j’ai pas le temps”. On s’est dit qu’on allait proposer des ateliers comme “je me remets au sport” là c’est “je me remets à la lecture”. On propose donc un véritable suivi personnalisé sous la forme d’un échange d’abord, “qu’est-ce qui fait que vous avez envie de lire ?” et après, en fonction de ça, on va pouvoir diriger les gens sur des petits bouts de textes. L’idée n’est pas de faire une vente directe mais de proposer d’abord des extraits gratuits sinon ce serait pervertir le truc. On souhaite aussi que les personnes deviennent leur propre prescripteur et développent leur esprit critique autour de ces extraits et puissent nous dire ce qu’elles en ont pensé.

Guillaume nous abandonne un temps pour conseiller une cliente sur les mangas jeunesse.

Mon métier c’est de mener les gens au livre qui leur convient (Guillaume)

Sonia (UDL) à Bérangère – Quel est votre parcours à vous ?

Bérangère – J’ai 40 ans dans une semaine et pour moi c’est une reconversion. Je n’étais pas dans le métier du livre. Mon dernier poste c’était Assistante d’Education et je vois ce travail à la libraire comme une continuité avec un peu plus de liberté et de temps accordé aux jeunes. J’avais un parcours administratif, j’ai quitté tout ça. Je fais partie de ces gens qui se sont mis sur le tard à venir dans les librairies, je ne me sentais pas légitime. Je me suis aperçue que ce n’était pas vrai, partir de zéro ça se fait sur des tas de plans et sur celui-ci aussi. J’ai commencé par des petits bouquins. Par exemple, parmi les ateliers, on va faire des DIY, c’est mon dada et là-dessus, il y a des tonnes de bouquins, ça fait partie des choses qui développent l’esprit pratique, c’est toujours gratifiant de faire des choses de ses mains. C’est des livres qui, sous couvert d’être amusants amènent déjà à manipuler le livre et petit à petit on en manipule d’autres parce que l’on va chercher de l’inspiration. On commence quelque part, on va ailleurs et on ne sait pas jusqu’où on va. Ici, ça va être un pont.

Sonia (UDL) – Comment vous êtes vous rencontrés tous les trois ? De qui vient l’initiative ?

Bérangère – Je suis la compagne de Guillaume. Il y a également une quatrième personne sur ce projet, Luc, qui n’est pas là parce qu’il est prof, il nous rejoindra en septembre. Sandra (qui pianote sur les touches de l’ordinateur), travaillait dans une solderie de livres, elle est super douée car elle ne choisissait pas les bouquins qui arrivaient et il fallait malgré tout arriver à les vendre. Je trouve ça assez fabuleux. Elle a une expertise sur un tas de domaines et le même engagement que nous : le livre doit être pour tout le monde.

Je fais partie de ces gens qui se sont mis sur le tard à venir dans les librairies, je ne me sentais pas légitime. (Bérangère)

Guillaume (qui nous rejoint) – On va aussi proposer des cours particuliers.

Bérangère – Oui, à la rentrée. Moi j’en ai fait, fut un temps, en bénévolat au Centre Social des Pertuis à Mireuil. J’en ai fait aussi au collège où je travaillais et j’aime bien. C’est quelque chose que je trouve agréable et les gamins aussi, pour peu qu’ils ont choisi un minimum d’être là.

Sonia (UDL) – Ce sera gratuit ?

Bérangère – Oui, tout est gratuit, sauf les bouquins ! L’aide aux devoirs j’aime bien parce que l’on est ni profs ni parents, ça permet d’avoir une autre relation à l’enfant et à ses devoirs. On a pas le même regard sur sa scolarité. On peut aussi lui faire comprendre que “tes notes, ce n’est pas ce qui te définit”, ça te donne une idée de où en sont tes connaissances sur tel ou tel terrain qu’il faut acquérir parce que ça fait partie du programme et que plus tard tu en auras besoin. On peut trouver aussi une autre façon d’apprendre, parce que nous on est pas forcément au point non plus et que l’on va apprendre avec eux. Ils aiment bien quand on cherche avec eux. L’idée n’est pas de juger le niveau scolaire du gamin. C’est vrai que je parle d’expérience dans le sens où pendant très longtemps mon étiquette scolaire m’a beaucoup collé ou j’ai collé à mon étiquette scolaire. Élève moyenne, donc moyenne. Les notes c’est une chose et la personnalité s’en est une autre.

Sonia (UDL) – Comment vous organisez-vous ? Association ? Scop ?

Guillaume – C’est une mafia, pure et dure (rires). Non, une S.A.S (Société par Actions Simplifiées). C’est une forme très capitaliste d’entreprise parce que l’on veut montrer que l’entreprise c’est ce qu’on en fait. Il y a des tas de choses que l’on est pas obligé de faire par rapport à la forme salariée par exemple de l’une d’entres nous. Sandra est en CDD jusqu’à fin décembre et on espère par la suite un partenariat pour la faire entrer au capital. On se paye tous au même prix, on a tous la même mutuelle.

Bérangère – On fait tous la même chose, il n’y a pas de différences.

Guillaume – Le Code du Travail c’est ce qu’on en fait. On redéfinit sans cesse des minima à la baisse, à nous, en tant que citoyens, car quand on est entrepreneurs, pour autant on est citoyens, de mettre nos valeurs en premier et de ne pas avoir cette excuse facile de l’économie. Notre budget n’est pas fantasque, il est taillé dans des réalités financières et qui pour autant comprend que les êtres humains qui travaillent ici doivent être biens dans leur travail et leurs conditions de vie. Quand on gagne que dalle, que l’on est pas couvert, que l’on est oppressé, on ne va pas faire du bon boulot, on ne va pas accueillir les gens correctement. On est avant tout des êtres humains, rien ne peut se faire sans cette donnée là et si l’on ne prend pas soin de ça, on n’y arrive pas. Plutôt que d’avoir de grands discours sur ce qu’il faudrait faire à l’échelle de la société, ce qui malheureusement se heurte au fait que l’on a pas les clefs ensuite pour changer les choses, nous on montre simplement que l’on peut faire différemment, de l’intérieur, chacun dans sa structure et libre au client de financer des structures qui traitent mal leurs employés. Est-ce que l’on veut d’une société humaine ou pas ?

Sonia (UDL) – D’où les rebelles ordinaires ? Les rebelles dans le système ?

Guillaume – C’est ça, après tout simplement “ordinaires” dans le sens où c’est devenu une rébellion que d’avoir un peu de bon sens. J’ai travaillé dans un grand journal économique, un poste très très bien payé, à hautes responsabilités, je ne me suis jamais autant abîmé de ma vie. C’était vide de sens. On était dans une sorte de Comedia del arte dans laquelle tout le monde justifiait un poste complètement fictif. On créait des trucs dont le monde n’a pas besoin.

Je profite d’un temps d’accalmie pour discuter un peu avec Sandra à l’occasion du Top des lectures de fin d’entretien.

Sandra –  J’aime bien piocher. Je focalise surtout sur ce que je vois. J’aime bien les Bande Dessinées historiques sur la guerre sans misérabilisme comme celles de l’italien Gipi (S). Aama de Frédéric Peters pour son graphisme dingue ! J’aime beaucoup le travail de Robert Crumb, critiqué parce qu’il est moyennement cool pour la femme, assez salace.

Le Top de Bérangère ? Happy End de Bertrand Ferrier, La Nuit des temps de Barjavel, mon coup de cœur d’ado et Mille Femmes blanches de Jim Fergus que j’ai lu il y a pas longtemps.

Le Top de Guillaume ? Si je devais en choisir un Moins que zéro de Brett Easton Ellis.

Propos recueillis par Sonia.

Retrouvez les Rebelles Ordinaires sur Facebook et au 9 bis rue des Trois Fuseaux à La Rochelle

À propos Sonia

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2 Commentaires

  1. J apprécie tellement ce que je viens de lire…

    Longue vie à cette belle librairie !

    Joëlle Neveu

  2. Super Librairie et super article !

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