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Rêves de Wajdi Mouawad chez Actes Sud

Rêves – Wajdi Mouawad

L’histoire est simple :
Un homme se lève de son lit
Et se met en marche vers la mer.

Parfois, quand un écrivain termine une fantastique aventure littéraire, qui plus est qui lui a fait connaître le succès, vient une question qui terrible et obsédante : qu’écrire après ?  Comment trouver les mots ? On pense notamment à Stig Dagerman qui exprime dans « Notre besoin de consolation… » l’angoisse de celui qui n’a pu retrouver le chemin de l’écriture.

Au cours des mois qui suivent le succès de ses dernières œuvres et notamment de Littoral, cette question hante Wajdi Mouawad et avec elles d’autres : qu’est-ce qui fait qu’une œuvre est liée au monde ? Doit-elle lui être liée ? L’auteur, par sa création, peut-il toucher des personnes totalement étrangères à lui ? Comment ? Toutes ces interrogations, nous révèle le dramaturge dans sa préface, sont à l’origine de Rêves.

C’est l’histoire d’un homme qui marche vers la mer…

Willem est un écrivain habité par cette idée, qu’il entend bien coucher sur le papier, une nuit, dans une chambre d’hôtel. C’est sans compter sur l’hôtelière, une femme en mal de compagnie, qui souffre de la morosité de la basse saison et qui tente de nouer la conversation avec l’auteur.

Ils n’ont a priori rien en commun. Il est habité par son besoin d’écrire sa peine et sa colère, tandis qu’elle est hantée par l’absence de son fils. A chacun sa blessure, à chacun son obsession.

Quand il est finalement laissé seul, Willem convoque son imagination, Isidore, qui, en bon chef d’orchestre fait venir tour à tour, parfois en même temps, les différentes incarnations de Soulaymâan, l’homme qui marche vers la mer.

[…] je sens que lui aussi pourrait me dévorer parce que je pense qu’il pourrait y avoir là, dans son histoire, quelque chose, quelque chose de neuf, tu comprends, de neuf pour  moi, mais qui, à la fois, n’est pas grand-chose. C’est-à-dire pas d’histoire, pas d’action, rien, un homme qui marche et son monologue intérieur qui le structure. Et c’est tout.

Homme écroulé, Femme décharnée, Homme ensanglanté, Femme décapitée… chacun à sa manière symbolise (mais l’on pourrait aussi dire, puisque l’on est au théâtre, représente, interprète) le personnage inventé par Willem. Successivement, ils racontent leurs émotions, leurs actes.

Ils se racontent et Willem écrit, tandis qu’Isidore assiste aux discussions et que la musique de l’Homme silencieux les accompagne.

Ils sont cet homme qui se lève un matin et qui décide de marcher vers la mer. Quelles sont les différents états d’âmes qui habitent l’homme qui marche ? Que cherche-t-il ? Que fuit-il ? Et surtout, en quoi son histoire éclaire-t-elle le reste de l’humanité ?

Homme écroulé et Femme décharnée diront son incapacité à aimer, tandis que Femme décapitée et Homme ensanglanté partiront en quête pour tenter de comprendre d’où vient le sentiment de perte et laisseront éclater la nécessaire violence.

Construite autour de la mise en abyme de la création littéraire, Rêves rappelle la notion de « Theatrum mundi », qu’elle revisite. Revenons un moment sur cette notion dramaturgique que l’on peut faire remonter, au-delà de l’analogie qui existe depuis l’Antiquité entre le théâtre et le monde, à la représentation du Grand théâtre du Monde de Calderón (17ème siècle).

Pour faire bref, dans la pièce de Calderón l’Auteur (Dieu), décide de donner une fête et demande au Monde de trouver des acteurs qui donneront une représentation. Ces acteurs : la Sagesse, le Riche, le Pauvre, la Beauté, étant des figures allégoriques de l’humanité. La scène du théâtre devient donc à travers une édification religieuse, une représentation du monde et permet, notamment, d’interroger son créateur.

Dans Rêves, la métaphore théocentrique concerne donc bien évidemment la création littéraire : le monde devient le lieu fertile de l’imagination de l’écrivain et chaque personnage joue son rôle en toute conscience pour permettre à Willem de venir à bout de son histoire. La représentation devient la matérialisation du point de contact entre le créateur (Willem) et son personnage (les différentes versions de Soulaymâan).

L’esprit du personnage est profondément sondé, et chacun, Willem y compris, tente de le comprendre et de l’analyser. Dans cette tentative de compréhension, au cours de laquelle chaque Soulaymâan peut exprimer ses sentiments, la Femme décapitée, notamment, laisse éclater une grande violence dont la portée cathartique évoque nécessairement Antonin Artaud et son « théâtre de la cruauté ». Une violence qu’on lit dès les premières lignes écrites par Willem :

Je crache sur ton visage hideux les mots de mon désespoir !
Je les crache en bouquet de rasoir,
Et pour que tu comprennes bien la portée de ma voix,
Sache que pas plus tard qu’hier,
J’ai égorgé un nourrisson
En le regardant droit dans les yeux ; […]

La porosité entre le monde imaginaire de l’auteur peuplé de ces personnages et le monde dans lequel il vit est très fine et il est également habité par des personnages qui ne font pas partie de son histoire (l’Aurican) comme le spectateur est habité par la Femme emmurée que personne d’autre ne semble entendre…

Cette porosité s’entend également dans le langage, somme toute trivial de l’hôtelière, qui par moment se détraque et la fait rejoindre cet ensemble de questions, ce sentiment lié à la perte :

J’ai laissé un plat de rillettes sur la table. Si vous avez faim, ne vous gênez surtout pas ! Servez-vous, faites comme chez vous, l’existence est partie et le saucisson est sur l’étagère.

Le lien entre l’auteur et le probable lecteur, ici l’hôtelière, ceux qui a priori n’avaient rien en commun, se situe d’abord dans le langage, dans cet infime déplacement qui montre que la perte est peut-être, finalement, universelle.

Dans les premières lignes de la préface, Wajdi Mouawad déclare :

La raison qui m’a poussé un jour à vouloir rassembler une équipe autour d’un spectacle de théâtre qui aurait pour titre Rêves se perd dans les méandres de mes peines, de ma colère et de ma rage.

C’est avec une magnifique intensité que cette peine, cette colère et cette rage éclatent et peuvent enfin trouver leur dénouement et c’est avec quelque chose qui est de l’ordre du soulagement, de la reconnaissance (dans les deux sens du terme) qu’elles sont accueillies et qu’elles trouvent écho en ceux qui contemplent ou qui lisent cette oeuvre fascinante. Un texte nécessaire.

 

Rêves de Wajdi Mouawad paru aux éditions Actes SudActes Sud Papiers

Hors collection.

 

72 pages.

 

 

 

Hédia

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Chroniqueuse

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