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Tom McCarthy – C

«La friture rappelle le son qu’on entend quand on pense. Pas lorsqu’une seule personne pense, ni même lorsqu’un groupe pense, collectivement. C’est plus grand que ça, plus large – et plus direct. C’est comme le son de la pensée elle-même, son bourdonnement, ses élans.»

C est un roman à l’atmosphère étrange. Un roman aux abords hermétiques, reposant sur un monde de codes, de signes, d’interférences, de sons, d’expérimentations, et dans lequel il n’est pas facile d’entrer. On tâtonne, on tourne autour du texte, ne sachant pas si l’on va s’y laisser happer ou si l’on va rester en retrait sans parvenir à apprécier les trésors qui s’y cache. On est donc là, un peu sur la réserve mais fortement intrigué, parce qu’on fond, on sent que ces pages recèlent des mystères et que les refermer sur elles-mêmes serait passer à côté d’un roman (et d’un écrivain) atypique.

Serge et Sophie Carrefax ont grandi dans un institut pour sourds, entre un père accaparé par ses recherches et diverses méthodes innovantes en matière de communication, et une mère entièrement consacrée à la fabrication de soieries.
Leur jeunesse est un vaste champ de connaissances à conquérir, d’expériences et de découvertes à faire, de secrets à s’approprier ; elle est un labyrinthe de possibilités qu’ils parcourent sans limites. Alors que Sophie montre très tôt une certaine aptitude au sciences naturelles, Serge bricole émetteurs et récepteurs à la recherche d’ondes, de fréquences, de messages…
Mais ce petit univers enchanté, l’enfance, chantier d’expériences diverses et variées, prend fin avec la disparition de Sophie et appartient définitivement au passé avec le début de la guerre en 1914.
Une guerre que Serge aborde sans peur ni fatalité, comme une partie d’échec. Repérages, signalisation aérienne, plans, points de visées, décryptage, analyses cartographiques, trajectoires, cibles, artillerie, ne sont que les règles d’un jeu, d’un grand plateau de jeu fait d’espaces et de lignes. Il avoue lui-même avoir aimer la guerre, cette frontière entre la vie et la mort qu’il semble défier autant que la liberté.

«(…) nous sommes libres lorsque nous sommes en mesure de jeter un pont entre nos impressions sensibles du monde extérieur et nos propres pensées.»

C pourrait être celui de Crépine, Chute, Collision, Communication, les quatre parties de ce roman. Mais aussi celui de Carrefax, de l’escadrille C à laquelle Serge est affecté dans la Royal Flying Corps, de Croyance ou encore de Carbone. Mais faut-il donner un sens au titre ? une logique à l’histoire ? une rationalité aux protagonistes ?

Serge, Sophie et leur père sont en décalage avec la réalité commune mais touchent du doigt une certaine vérité. S’ils sont difficiles à cerner, ils dénotent, chacun à leur manière, une profondeur d’esprit et une vision très personnelle de la vie qui ne nous appartient pas.
Chacun a son propre système de pensée et l’intrigue du livre est là, dans la tête de Serge qui semble parfois être branché sur une autre fréquence de communication que celle des autres. Il fait preuve à la fois d’une extrême sensibilité au monde extérieur et d’une vie intérieure riche et complexe ; se créant un monde caché à l’intérieur de celui qui l’entoure, le télescopant parfois. Mais Serge Carrefax n’essaye pas d’être compris ou aimer, il est.

«Ses sourcils se froncent avec inquiétude et ses yeux se déplacent de gauche à droite sur le visage de Serge comme s’il essayait d’amener leur plate inscrutabilité à une espèce de relief. Serge le regarde en retour, d’un air franc, le laissant examiner son visage. Il n’y a aucune raison de résister : Burnet et ses semblables n’exhumeront jamais ce qui est enterré là, ne l’élèveront ni ne le formeront jamais (…)»

Il semblerait donc que C soit de ces romans là : intriguant et insaisissable, qui nous tient à distance comme s’il était enveloppé d’une paroi invisible dans laquelle il nous faut trouver une brèche pour s’y engager et en ressortir transformé… forcément.
Il laisse derrière lui une sensation étrange et difficile à expliquer. C’est le genre de livre qu’il faut apprivoiser et ce n’est certainement pas Tom McCarthy qui va nous y aider. Jusqu’au bout on ne sait jamais où il nous emmène, ni s’il a les clefs de son énigmatique roman…

C se lit comme on s’attèle à la recherche d’une fréquence audible. Et c’est sans préambule que Tom McCarthy nous défie de la déchiffrer.

C-Tom McCarthyéd. de l’Olivier, 2012
429 pages
trad. Thierry Decottignies

Pauline

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Chroniqueuse

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