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Trevanian – Shibumi

Shibumi est aussi inclassable que Trevanian a été insaisissable de son vivant. Une petite merveille de lecture pour tous les amateurs de romans initiatiques, d’espionnage, de spéléologie, de culture japonaise, de répliques bien placées et pour tout ceux qui n’en attendaient pas tant. En quelques mots, Shibumi est “un polar philosophique de haute tenue”, comme l’a si bien décrit Gilles Heuré dans son article sur Télérama.

“Shibumi implique l’idée du raffinement le plus subtil sous les apparences les plus banales. C’est une définition d’une telle exactitude qu’elle n’a pas besoin d’être affirmative, si touchante qu’elle n’a pas être séduisante, si véritable qu’elle n’a pas à être réelle. Shibumi est une compréhension plus qu’une connaissance. (…)
Dans le comportement, c’est la modestie sans pruderie.
Dans le domaine de l’art, (…) c’est la simplicité harmonieuse, la concision intelligente.
En philosophie, (…) c’est le contentement spirituel, non passif, c’est exister sans l’angoisse de devenir. Et dans la personnalité de l’homme c’est… comment dire ? L’autorité sans domination ?
(…) Comment peut-on atteindre le shibumi ?
On ne l’atteint pas, … on le découvre. (…)
Cela signifie t-il qu’il faut beaucoup apprendre pour découvrir le shibumi ?
Cela signifie plutôt que l’on doit dépasser la connaissance pour atteindre la simplicité.”

Devenir tueur professionnel est un art aussi subtil que celui du shibumi. Dans les deux cas, cela demande autant de réserve que de force de caractère. Qualités que possède Nicholaï Alexandrovitch Hel. Solitaire et idéaliste, il est du genre mystérieux, charismatique, froid et intransigeant. Il cultive l’art japonais, de l’état d’esprit au jardin, et possède un don certain pour les langues, le jeu de go et…le mysticisme. Adolescent, il avait assuré tuer quiconque lui ôterait cette capacité innée qu’il pratique avec autant de spontanéité que de nécessité.

“Cela fera-t-il revenir la voie du recueillement ?
Je m’ignore maître. Mais ce sera l’ultime vengeance requise pour une si grande perte.
(…) Nicholaï ferait ce qu’il venait de dire, Otake-san n’en doutait pas. Un homme ne révèle sa personnalité nulle part aussi bien qu’au cours d’une partie de Go, (…) Et le jeu de Nicholaï, brillant et audacieux, avait les défauts d’un esthétisme glacé et d’une détermination presque inhumaine. (…) le jeune homme ne connaîtrait jamais la paix ou le bonheur dans le jeu plus simple de la vie”

“Plus simple” mais semé d’embuches. Entre conflits internationaux et drames personnels, certains évènements vont marquer son existence et, lui qui ne s’était jamais laissé envahir par le ressentiment, va connaître la haine et la peur. Autant d’émotions capables de vous ôter toute sérénité d’esprit pour susciter en vous le goût de la vengeance.

Devenu expert en spéléologie et tueur hors pair Nicholaï Alexandrovitch Hel est aussi devenu, par conséquent, l’homme le plus recherché par le plus secret des services américains : la Mother Company. Grâce à la Fat Boy, aucune information sur qui que ce soit n’échappe à cette dernière. Et si Hel n’est pas aussi bien renseigné que les membres de la Mother Company sur chaque individu, il l’est suffisamment sur les gouvernements et les personnalités influentes pour s’en protéger. Il n’a pas Fat boy mais un informateur efficace qui a bien compris que le savoir est une arme redoutable si on sait en faire bon usage : l’étaler ne sert à rien, il faut savoir le distiller à bon escient…

Aujourd’hui retiré dans son château au Pays Basque, Hel est bien résolu à profiter de sa retraite. Son principal objectif étant toujours de trouver la voie qui mène au shibumi, il y met toute la rigueur qui le caractérise pour y parvenir. Mais le passé, qui n’est jamais qu’une facette du présent, vient frapper à sa porte. Dans les fichiers de Fat Boy, sa fiche est classée mauve. Cela signifie qu’ il représente le plus haut degré de dangerosité pour la Mother Company.

“Dans le système de code par couleur, les cartes perforées mauves indiquaient les hommes les plus insaisissables et les plus dangereux du point de vue de la Mother Company. Ceux qui agissaient sans référence à des principes nationalistes ou idéologiques, les agents indépendants, les tueurs que ne contrôlait aucune pression gouvernementale, ceux qui tuaient pour les deux côtés.”

Trevanian (Rodney Whitaker de son vrai nom) est une légende et maîtrise l’art du mystère aussi bien que la culture japonaise et le caractère basque. Insaisissable et peu disposé à se laisser enfermer dans un genre littéraire, il a ingénieusement écrit sous différents pseudonymes, empruntés aux personnages de ses romans.
Il est probable que Trevanian ait approché l’état de shibumi, et si tel n’est pas le cas, il en a saisi l’essence et a su transmettre avec conviction le bien-fondée de ce concept. Vivre sobrement est un art qui se cultive : “on ne l’atteint pas; …on le découvre (…) on doit dépasser la connaissance pour atteindre la simplicité”.

shibumi-trevanian

 

éditions Gallmeister (2008) – collection Totem, 2016
528 pages
traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Damour

Pauline

À propos Pauline

Chroniqueuse

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