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Wuthering Heights – Emily Brontë

Wuthering Heights (traduit en français par Les Hauts de Hurlevent) est un roman écrit par Emily Brontë et publié en 1847 sous le nom de plume Ellis Bell.Je dois vous l’avouer, s’attaquer à une oeuvre aussi importante que Wuthering Heights a de quoi éprouver le courage de votre humble narratrice, mais tentons !

Mr Lockwood vient de louer Thrushcross Grange au mystérieux et misanthrope Mr Heathcliff. Persuadé de trouver en lui un compagnon de solitude et de misanthropie, Mr Lockwood décide de rendre visite au mystérieux Mr Heathcliff pour se présenter et lui annoncer qu’il a bien emménagé. La visite se termine horriblement mal. Non, correction, tout dans cette visite se passe de façon horrible. Oubliez les décors à la Downtown Abbey, les tea party et les fins traits d’humour à la Jane Austen ou Oscar Wilde. Bienvenue dans les landes du nord de l’Angleterre où les cottages ont une seule pièce principale (pas de petit salon, grand salon, drawing room, bibliothèque et salle à manger séparées) où tout est rassemblé dans une pièce ce qui est nettement plus facile à chauffer au feu de bois !

Car Wuthering Heights est très loin d’être accueillant : le pauvre Mr Lockwood se fait attaquer par la meute de chiens d’Heathcliff, tente tant bien que mal d’établir une conversation avec ses hôtes, Mr Heathcliff, Hareton et une jeune femme appelée Catherine, mais ne rencontre que froideur et mépris et enfin, doit se débattre avec les domestiques pour avoir une chambre pour la nuit lorsqu’il est coincé à Wuthering Heights pour la nuit. Oh, et la chambre en question se trouve être la seule pièce dont le maître des lieux interdit l’accès, mais la servante, Zillah, voulait savoir si la pièce était vraiment hantée et a donc décidé de tester l’hypothèse en y plaçant Mr Lockwood pour la nuit.

De retour à Thruscross Grange après une nuit des plus étranges, Mr Lockwood demande à la domestique de la maison, Nelly Dean, de lui conter l’intrigante histoire de Wuthering Heights…

Le reste, vous le connaissez sans doute comme une histoire d’amour passionnelle et destructrice ou même comme la plus grande histoire d’amour de tous les temps. Wuthering Heights est une histoire d’amour comme Dracula est une histoire d’amour, c’est-à-dire pas du tout.

Votre humble narratrice exagère légèrement : l’amour est au centre de l’intrigue de Wuthering Heights, il est l’ombre qui pèse tant sur les épaules d’Heathcliffe et l’étincelle cruelle qui brille dans ses yeux. Il est la frénésie qui possède Catherine et la malédiction qui frappe la famille entière. L’amour que dépeint Emily Brontë n’a rien d’enviable contrairement à ce que certaines citations, toujours prises hors contexte, peuvent vous laisser penser. L’amour d’Heathcliffe n’est pas dévorant ou ce “dangereux” qui vous promet “torride”, il engendre la haine qui le pousse à détruire tout ce qu’il peut, jusqu’à détruire l’être aimé.

Cette vision est très différente de celles que présentent Jane Eyre ou Anne Grey. On peut penser aux trois premiers romans des soeurs Brontë comme un triptyque amoureux. (Même si le second roman d’Anne Brontë, The Tenant of Widfell Hall, présente de nombreux points communs avec Wuthering Heights)

Mais procédons à un léger “kit de survie” :

  • Il semble important de rappeler que Wuthering Heights est l’unique roman d’Emily Brontë qui meurt à 30 ans, en 1848, laissant derrière elle un des romans les plus intrigants de la littérature anglaise et de nombreux poèmes, si magnifiques que Viriginia Woolf elle-même pensait qu’ils seraient tout ce dont les lecteurs d’Emily Brontë se souviendraient. Viriginia Woolf a en effet écrit un court essai sur Jane Eyre et Wuthering Heights qui n’est certes pas essentiel à la compréhension du roman, mais exprime avec une incroyable justesse ce qui fait la force de ces deux romans. Elle conclut son essai par : “A elle, donc, le plus rare des pouvoirs. Elle peut délivrer la vie de sa dépendance aux faits; par quelques traits, elle indique un visage sans qu’il ait besoin de corps, et en parlant de la lande, faire souffler le vent et rugir la tempête.”
  • Connaitre le lien que les poètes romantiques ont établi entre le paysage extérieur et le paysage intérieur (celui des sentiments du poète) semble fondamental. En effet, les landes sont toujours un reflet des sentiments des personnages. Par exemple, lorsque Mr Lockwood quitte Wuthering Heights après sa nuit cauchemardesque, il se retrouve tout à fait désorienté face à la lande entièrement couverte de neige. Cette confusion coincide avec les mille questions que Mr Lockwood se pose sur les résidents de Wuthering Heights et les fantômes qui les hantent. Ce qui semblait si clair est devenu inextricable.
  • Prendre Wuthering Heights pour un roman romantique serait prendre un raccourci douteux. En effet, le roman semble à la fois emprunter à de nombreux genres et échapper à tous. Les éléments gothiques sont indéniables, et sont probablement ceux qui nous marquent le plus : il est difficile d’oublier la première apparition du fantôme de Catherine et les landes battues par le vent ainsi que la folie qui dévore peu à peu Catherine comme une lente possession presque démoniaque. On pourrait également voir Wuthering Heights comme un roman réaliste : Emily Brontë s’inspire non seulement d’évènements dont elle aurait eu l’écho lorsqu’elle enseignait à Halifax (une petite ville non loin de sa ville natale, dans le nord de l’Angleterre) mais le nom éponyme du mystérieux domaine est également inspiré d’une maison qui existait bel et bien non loin d’Haworth, où les Brontë ont écrit leurs premiers romans : Top Withens, souvent surnommée Top of th’Withens (si vous le prononcez à voix haute, vous trouverez la ressemblance !) Emily Brontë ne recule pas devant des descriptions difficiles comme l’alcoolisme d’Hindley Earnshaw, la maltraitance des enfants, à la fois par les adultes et par eux-mêmes…
  • De manière générale, entrer dans la lecture de Wuthering Heights avec la moindre attente, la moindre intention de définir et de catégoriser ne vous conduira pas plus à une réponse qu’ouvrir le livre et ne s’attendre à rien, ou à tout. Tout dans ce roman semble constamment changer et se transformer. Un peu comme cette branche d’arbre qui, dans la nuit, devient un bras tendu pour vous attraper avant de redevenir, le temps que vous vous retourniez, une branche d’arbre. Les personnages sont, chacun, même les plus clichés, des labyrinthes dans le labyrinthe que forme l’intrigue. Ou peut-être sont-ils des tests de Rorschach.

A sa publication, Wuthering Heights a fait scandale, ce qui n’est pas vraiment une surprise puisque de nombreux chefs d’oeuvres, y compris ceux que l’on considère ‘sages’, ont choqué la société de leur époque. En 1848, dans Graham’s Lady Magazine, par exemple, on se demande comment un être humain peut écrire un tel roman sans se suicider avant de l’achever. En 1847, James Lorimer du North British Review rassure ses lecteurs : Wuthering Heights est un roman horrible mais, heureusement, il ne sera jamais lu ! Cependant, il me semble que le roman d’Emily Brontë n’a pas fini de choquer ses lecteurs. Le roman est d’une violence assez incroyable. Les personnages n’ont de cesse de faire souffrir ceux qu’ils peuvent pour oublier la souffrance qu’ils ont reçue. Nous assistons à un cycle qui n’a de cesse de tourner et de tourner en broyant tous les personnages, en commençant par les plus innocents.

La violence n’est pas uniquement physique, l’amour qu’Heathcliffe porte à Catherine lui-même est une forme de violence qu’elle accepte d’abord, puis tente de rejeter mais qu’elle porte déjà en elle et projette sur Edward Linton. Le lecteur assiste à cette contamination de violence qui touche tous les personnages et les transforme en êtres égoïstes et cruels, et quand enfin, nous pensons que nous pouvons enfin juger tel ou tel personnage, un éclair de bonté apparait en eux, nous donnant espoir, avant de se perdre à nouveau, dans un des tournants du labyrinthe. Emily Brontë n’a aucune pitié pour ses personnages, mais elle fait preuve d’une finesse incroyable dans sa description de la bassesse humaine en brisant un à un les jugements un peu trop hautains que le lecteur serait tenter d’administrer.

Lire Wuthering Heights, c’est se plonger dans l’abysse. Il nous regarde aussi.

Lors de votre lecture, ne passez pas trop vite sur l’histoire de Mr Lockwood : l’histoire cadre qui sert à mettre l’intrigue principale en abyme n’est jamais anodine. Comme dans Frankenstein, Mr Lockwood est l’amorce d’une histoire qui aurait pu être similaire à celle d’Heathcliffe mais ne se réalisera pas. Nelly Dean n’est pas qu’un personnage-témoin : avoir une domestique comme narrateur est loin d’être commun chez les romantiques du  XIXème siècle. Le fait que Nelly raconte cette histoire de passions horribles et incroyablement profondes fait partie du commentaire social que nous pouvons retrouver dans les oeuvres de toutes les soeurs Brontë.

Il serait difficile de terminer une chronique sur Wuthering Heights sans évoquer son personnage principal, Heathcliffe. Trouvé dans les rues de la ville portuaire de Liverpool, en Angleterre, Heathcliffe est adopté par le père de Catherine Earnshaw, mais il n’est pas pour autant accepté par la famille. Heathcliffe ne sort jamais de son rôle d’exclus, de pariah, d’étranger. La repulsion qu’il inspire à tous, sauf à Catherine Earnshaw, n’est jamais vraiment expliquée, même si elle peut être comprise par la théorie de la phrénologie. Comme tous les personnages, il est difficile à définir et à comprendre. Il ressemble aux descriptions que Machen donne d’Helen, son monstre mi-femme mi-Pan, mais il est également incroyablement humain. Beaucoup de critiques pensent qu’Heathcliffe est inspiré des articles qu’Emily Brontë a lu à propos de Lord Byron, poète qui la fascinait et symbolisait toutes les licences et tous les excès. Si le personnage d’Heathcliffe est fascinant, Catherine Earnshaw Linton ne l’est pas moins : elle est la femme folle dans le grenier que Charlotte Brontë n’a jamais osé décrire avec autant d’humanité.

L’image de couverture est tirée de l’adaptation cinématographique d’Andrea Arnold, sortie en 2011.

624 pages
traduction de Jacques et Yolande de Lacretelle
édition Folio Classique 

À propos Anne-Victoire

Chroniqueuse

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2 Commentaires

  1. Bonjour,
    Merci pour l’analyse d’un de mes romans préférés que je mets aussi plutôt du côté de Frankenstein que de la littérature générale même si l’amour y est omniprésent sous une forme démoniaque. Toujours en arrière plan la chanson de Kate Bush.

    • Bonjour, je suis ravie que cette humble chronique vous ait plue ! Il y a Wuthering Heights définitivement un rapprochement très intéressant à faire entre le roman d’Emily Brontë et Frankenstein : leurs dates, leur étrange mélange entre gothique et romantisme, le fait que ces deux romans incroyablement sombres soient écrits par deux jeunes femmes…! La chanson de Kate Bush est un magnifique compagnon pour le roman (j’ai également beaucoup écouté “Isle of the Dead” de Rachmaninov pendant ma lecture. Merci beaucoup d’avoir lu cette chornique et d’avoir pris le temps de me dire ce que vous en pensiez !

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