Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
C’est la troisième fois.
La troisième fois que Philippa se retrouve enfermée à 31 ans, sous contrainte. Elle retrouve les fantômes dans les couloirs, l’arrogance des médecins à qui elle a du faire face, les effets des médicaments… Loin de ses proches, elle nous raconte comment une crise due à la bipolarité l’a conduite dans une dimension parallèle.
Elle entreprend de nous intégrer à sa routine de maintien, dans sa lutte contre l’absurdité d’une situation qui lui échappe et l’effraie, pour ne pas sombrer, pour ne pas devenir l’ombre d’elle-même. Les couloirs de l’établissement constituent un labyrinthe que nous arpentons dans le livre comme l’auteure explore son intériorité.
« Elle craint, ma mère, que je manipule le médecin, que je fasse comme si tout allait bien. Que subitement je reprenne le contrôle, je me redresse, je maîtrise mon débit, mes mots. Que je dise que « oui, je suis un peu fatiguée, mais ça va aller, il faut juste que je me repose ». Elle m’a déjà vue, même au cœur de la crise, me dissocier et faire comme si de rien n’était. Mais là, je ne suis pas en capacité d’opérer ce retournement décisif. À l’intérieur de moi c’est l’apocalypse. La peur. Est-ce qu’il existe un mot pour désigner la peur au-delà de la peur ? La terreur ? Un mot pour la terreur au-delà de la terreur ? Le traumatisme. Le traumatisme c’est la peur et la terreur enfoncées dans le cerveau au marteau-piqueur. Tout me terrifie à un point inimaginable. La froideur des néons, les murs craquelés, le sol jaunâtre carrelé, la chaise en bois mal fixée sur des barres de fer rouillées sur laquelle je suis assise, tout. La vision des femmes et des hommes en blouse blanche me donne la sensation physique que quelqu’un est en train de broyer mon cœur dans son poing. »
Il y a aussi les instants de poésie, les éclats et morceaux de vie qui transpercent la bulle aseptisée de l’hôpital comme des lueurs dans l’obscurité, scènes de vie auxquelles on s’accroche fermement pour tenter de trouver une soupçon d’insouciance. Et puis il y a Michèle, Karim, Djamel, David, Sophia… Le troc d’effets personnels, les échanges au fumoir, les pyjamas trop grands… Tout ce qui constitue un quotidien hors du monde, où tout n’est que survivance.
En lisant Philippa, on s’interroge : quelle est la part de lucidité, et celle de folie, en chaque chose ? Son double, Léa, lui permet de faire face à cette catastrophe qui plonge sa vie dans un enfer dont le seul objectif est de s’en sortir, sans trop de cicatrices.
« Ici, soigner c’est prescrire. La confiance n’est pas un enjeu fondamental. La confiance est entre les mains des murs, des portes closes, des mots savants, des piqûres et des sangles qu’ils utiliseront pour me maîtriser si je me risque à exprimer le fond de ma pensée. »
Il y a, chez elle, cet instinct humain si fort, si beau, qu’on se demande comment il est possible d’enfermer tant de poésie et de lumière à l’écart de notre société.
Plusieurs pistes, plusieurs réponses sont esquissées; ce n’est pas un livre sur la maladie. Ni sur la folie.
C’est un livre sur l’amour, avec une certaine idée du panache., un esprit profond de résilience.
Un livre qui ouvre des portes, construit un pont (plus que nécessaire) entre la santé mentale et la littérature. Ce récit bouleversant porte un regard lucide et factuel sur la pesanteur de la maladie, comme un nuage pose une ombre sur la vie.
Dans un langage sincère, touchant et souvent drôle, l’autrice se libère de ses chaînes et nous offre un récit intime, limpide, tendre.
Et c’est elle qu’on enferme.
Editions STOCK
245 pages
ITW Philippa Motte à la Maison Perchée – lieu de vie pair-aidance (Paris 11e)
