Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
Lauréat du Prix Transfuge du meilleur roman américain 2025, « Un monde nouveau » de Jess Row, bien plus qu’une simple saga familiale, c’est une fresque vertigineuse qui dresse le portrait sans concession d’une Amérique en crise, une expression de ses névroses dans une identité américaine qui s’est perdue en route. Voici un roman choral, comme seul quelques auteurs et autrices amércain.es savent composer.
La famille Wilcox c’est l’élite qui a perdu de sa superbe. Au cœur de ce roman dense, on découvre la famille Wilcox, issue de la haute bourgeoisie juive new-yorkaise. Prenez ici un soupçon de golden boy, une femme à la carrière riche, des enfants à qui l’on offre le confort et l’abondance. Tout devrait fonctionner en théorie ? Seulement malgré le fait que Sandy, le père, soit un célèbre avocat ; Naomi, la mère, une géophysicienne reconnue, la cellule familiale est fracturée et au bord de l’implosion.
Entre un pair obsessionnel ( pour Primo Levi) et ayant des envies suicidaires depuis le divorce avec Naomi. Naomi qui a refait sa vie avec une femme et qui porte un lourd secret caché dans un coin. Les enfants quant à eux et pour faire simple, Béring, une militante pacifiste qui fut tuée en Cisjordanie par un militaire israélien, Winter, avocate, qui est dans un bouillonnement intérieur entre réconciliation familiale et errance plutôt limite et Patrick, anorexique et adepte du Yoga, ayant fui à Berlin, tout laisse présager un prochain repas de famille explosif.
Mais Jess Row ne se contente pas d’explorer la psyché de ses personnages ; il les ancre aussi dans une réalité sociopolitique percutante. Le roman aborde une multitude de thèmes contemporains avec une certaine maestria : le conflit israélo-palestinien, l’urgence climatique, les questions raciales et l’obsession de la « race » aux États-Unis, les crises migratoires, le bouddhisme, les gourous, et les fractures identitaires. Ce qui peut paraître plutôt dense au premier abord, ce qui est sans compter que l’auteur multiplie les dispositifs narratifs (courriels, enregistrements vocaux) pour tisser une toile complexe et non-linéaire. Un bordel? Non!
Ce qui devrait rendre l’expérience de lecture exigeante, se retrouve finalement être un ancrage profond dans le roman, tout transpire la vérité et la vraisemblance, tout nous absorbe à chaque instant. Cette narration, qui n’est pas sans rappeler certains grands titres de feu la collection LOT49 au Cherche-midi : nous plonge avec une certaine forme d’intensité et d’absurdité très « Foster Wallacienne » dans une famille tentant de ne pas perdre pied.
« Un monde nouveau » porte très bien son nom. Plus qu’un roman choral, nous sommes typiquement dans le livre-monde. Un livre monde ambitieux, fou et intense. Un roman qui pourrait être ultra case-gueule pour un jeune auteur, mais où ce dernier s’en sort avec une maîtrise et un style assez brillant. La comparaison avec David Foster Wallace n’était pas gratuite, mais une nuance est à apporter. Qu’importent les situations, Jess Row développe une réelle empathie avec ses personnages, presque un amour pour ses victimes ( bourgeoises) de l’effondrement du rêve américain.
Jess Row a réussi son pari, si pari il y avait. « Un monde nouveau » est intelligent, dense, agaçant, attachant, brillant, drôle et touchant. Un portrait sans concession et sans cynisme d’un monde en train de mourir et aux conséquences intra-familiales que ça représente. Le mythique grand roman américain que nous pensions enterrer avec Philip Roth, semble avoir de nouveaux conteurs et Jess Row en fait très clairement parti.
Éditions Albin Michel,
Trad. Stéphane Roques,
608 pages,
Ted.
