Knock, knock ! Who’s there ? Ana ! Ana Who ? Ana Tot !
Ana Tot a encore frappé. Si l’Anatote n’est pas (encore) une figure de style (ce n’est pas faute d’en introduire et d’imposer le sien), l’on apprendra avec un plaisir non dissimulé (les joies de la sérendipité à l’heure de la navigation internet) que l’Anathothérapie existe bel et bien, qui « utilise le vibromasseur et les deux doigts d’une seule main » dans une « forme avancée de la massothérapie » — Avertissement : Je tiens à rassurer le public non avisé, habitué du site, féru de littérature et de poésie, venu pour prendre et applaudir des deux mains le nouveau livre d’Ana Tot : rien de tout cela ici : nous parlerons du texte, encore du texte, rien que du texte. Réavertissement : cet article peut contenir des traces de l’explicite lyrisme qui constitue tout de même un, et non des moindres, ingrédients de ce livre.
« prendre un morceau de terre grasse
et noire
telle qu’en regorge pays
la jeter en lamelle à la mer et attendre
– partant espérer – que l’océan s’en imprègne s’en abreuve s’en délecte
et qu’en naissent racines
– car naîtront »
Avec nique (chez Louise Bottu), qui se présente comme la suite syntax(o[-]log)ique de méca (paru au Cadran ligné) au sein d’un triptyque « organo-mécanique » initié par ses Traités et vanités (sorti chez le Grand Os), Ana Tot poursuit ses fantaisies textuelles — dont on trouvera un clair et plus que décent panorama de l’œuvre publiée jusqu’ici, et un peu un peu là. Brouillant les pistes, creusant des micro-sillons avec ce « recueil de partitions, micro-drames, comptines, saynètes, numéros (comme au cabaret ou au cirque), chanson, etc. », en Madame Loyal(e), en maîtresse-queue et de cérémonie, Ana Tot remet le couvert, s’affiche et annonce la couleur façon music-hall sans jamais se dévoiler sous les dessous d’une quatrième aux allures de pré-liminaires qui inaugure ce nouveau numéro d’opus savant, plantureux, bigarré.
« il y a toujours une langue qui parle une autre tête
il manque une tuile à cette tête-là
et pour cette autre les fenêtres ont manqué »
Une face c (h)achée (qui tranche, pile), où l’on découvre ou retrouve (c’est tout un(e)) le grand tohu-bohu de Tot, le b.a.-ba d’Ana. Sept exergues qui donnent le ton et ouvrent sur huit parties (c omptines anciennes (poèmes d’amour), c ouples moteurs (poèmes-machines), c rève-l’écran (pestacles), c olonnes, c arnet de voyage en bonhomie, c ouplets, c opules, c rapules) c omprenant une Tot’alité(e, mais pas trop) de 83 poèmes (soit 9 7 12 14 3 11 15 12 — suggestion de présentation non contractuelle, nombres non de pieds, mais de poèmes) dont on ne sait pas où ils vont (les pas, les pieds, comme les poèmes) ni toujours ce qu’Ana fait, si ce n’est qu’elle le fait bien et avec un entrain, une légèreté et une délectation partagées.
« je devais être celle
qui regarde la scène
non celui qui
la traverse »
Ici, plus que jamais, Ana Tot, sorte d’entité féline, voire siamoise, se joue d’elle-même, jeu du je et langues mêlées de l’emmêlée qui s’en mêle, au gré de dialogues comme rapportés (ose ana montre-moi ana tes fesse en liesse ana mes phrases emphase ose ana montre moi). Et parfois même, jusqu’à un certain point (l’on s’en approche), tout ça n’est pas juste potache, rigolo, mais très très beau (ça a un corps et tout ce qui s’ensuit), qui rappelle quelque chose situé à mi-chemin entre Arno Calleja entre ci et ça, et Charles Pennequin dont Adrien nous parlait ici, là. Un on ne sait quoi — la poésie sans doute, le parler sans mentir, le franc-penser sans rire – qui nous renvoie encore à certaines parties du corpus d’Ana. L’on retrouve ainsi le très beau et enfantin c arnet de voyage en bonhomie avec sa maison, un clin d’œil Dans un champs (un chant) à ces mottes mottes mottes (« mottes mottes mottes ») qui se terrent au creux de ce recueil comme un morceau d’argile qui attend d’être remodelé par son environnement.
« donc le bonhomme rond a dans sa tête ronde
des projets de carrés
alors un beau jour pour ne pas mourir
le bonhomme fait sortir les lignes droites
et les angles droits et les idées droites de sa tête ronde »
Au fil des saillies, dans le dédale de détails dans lesquels on se perd pour en revenir au sommaire, à l’essentiel – au blanc au rose du bruit des draps des bras des seins des joues de la bouche qui joue et jouit – à l’aise avec la langue, alanguie sur une chaise o-ù/-u un lit, Ana multiplie les parties de cache-cache, Colin-maillard, acrobaties croc-en-jambe et autres entrechats. D’abord moins sexuel qu’elle/il en à l’air, nique tout ce qui lui vient à l’esprit dans une partie de jambages en l’air qui n’en finit pas, formant autant de ritournelles, présents des temps passés bucoliques et primesautiers dont il/elle nous offre la primeur – le printemps avant l’heure, moisson de chants divers.
« si ma femm’ me rappell’
alors que j’y’ai donné la pell’
c’est que ma mèr’ m’appell’
pour que je change de pell’
c’était un’ autre pell’
tu t’es trompé de pell’
mais s’il pleuvait ? »
Poète et poétesse (les deux se disent, l’histoire littéraire – grand bien lui fasse – jugera) du genre dégenré, pas toujours déconstruit, mais qui ne se laisse jamais démonter, Ana Tot tape dans le registre populaire pour faire la nique. A la sinistre Académie (français, françaises) de veaux et faux dévots, mettre la misère aux misogynes, déshonorer les noceurs en toc, s’inscrit en faux pour tuer les préjugés. Nous délivre du mâle, amène, courtoise, quand elle ne le délivre pas, même s’il lui faut toujours, parfois, expédier quelques malavisés et autres otrus dans un plaidoyeah (« je puis assurer moi-même ma propre défonce ») qui rappelle pêle-mêle, par-delà les Fantasqueries ou & Leçons & Coutures de Jean-Pascal Dubost, la cannibale lecture du Corps Lesbien de Monique Wittig (« s’il m’a léché le pylorique, c’est que je lui ai sucé le duodénum »). Ce qui n’est pas anodin quand on sait la charge, si ce n’est paillarde du moins suggestive, des comptines enfantines et autres contes défaits.
« chéri je meurs
y’a des œufs durs
dans le freezer
si tu trouv’s pas
démerde-toi »
Et parfois, quand on n’y croit plus, ça devient vraiment cru. Ana s’emballe, en fait trop, file un mauvais coton, se retrouve dans de beaux draps et d’autres moins beaux, lave son linge sale en famille, devient de plus en plus ex-cessive/-travagante, incon-grue/-venante, va d’inceste en parties fines et d’autres moins, mais pas que. Jusqu’à ce que ça c opules pour de bon en mode allegro, trash my life, scato e tutti quanti. On rentre dans un domaine réservé à un public d’amateurs et amatrices, d’in-/extr-/a-verti·e·s, d’initié·e·s. On croit que ça s’arrête avec la raie, mais ça ne s’arrête plus. Bien entendu, chez Ana tout n’est pas bon à prendre, pas plus que tout est con. Les mauvais coucheurs diront que c’est facile, du grand n’importe quoi, mais si l’on s’en tient au travail du texte, qu’on délaisse les images si ça n’est pas notre tasse de thé (comme le rappelle cette vidéo, le consentement c’est comme le thé : ça ne se force pas), ça demeure toujours ludique et jouissif, même quand il faut aller chercher sous le lange et la fange les Ana-logies et Tot-ologies de méca, des Traités : tout un athanor qui te nique le cerveau à force de jeux de mots et de figures et d’exercices de style improbables, te lapide l’œsophage à coups de pierre philosophale.
Sur le site de Louise Bottu, on dit les choses comme Ana, franco de port, qu’on ne croit pas à la nouveauté, mais au fond et aux fondements. Alors on pourrait terminer Claro sur un truc genre « dois-je m’obsoléter par-devant par-derrière ? » (Comment rester immobile quand on est en feu) ou ambiancer façon les boloss des belles lettres, s’la jouer slam, voire slam dunk avec les baskets aux pieds que ce serait des Nique, rappeler qu’Ana c’est une pointure genre lolita du lol old school, tellement qu’elle met tout-par pareil son nom et les titres de ses titres en minuscule (ce qui éveille tous les sens de lecture : sur la couverture ana tot nique louise bottu : sur le dos louise bottu nique ana tot) pour se la ramener pas (ici on la majuscule quand même), mais même pas. Ana nique ça, Tot nique tout : C’est Nique c’est Anat Tot c’est Louise Bottu.
Ps : Je peux pas dire plus/mieux : ici sur Udl (Un Dernier Livre, c’est écrit dessus — pour et avant la fin du monde tu repasseras) c’est cadeau, pas de censure, mais que du beau (on parle de plaisir du texte là, c’est horizontal : on respecte celleux qu’ont fondé et fait tourné la turne, mais le taulier là c’est bibi, lui qui s’y colle pour que tu puisses checker ça peinard chez toi — la propriété, c’est le bénévole). Du texte, encore du texte, rien que du texte, on t’a dit. Si t’en veux davantage, si tu veux le cru du cru, faut payer pour voir, pas mon truc moi, pas de ça ici. Maintenant que je t’ai Udlé ma version du contenu avec le ton convenu, « tu prends tes caleçons sales et tu hors de ma vue » pour pécho le matos au bouclard du coin de la rue.
Editions Louise Bottu
1er février 2021
198 pages
Eric