Accueil » BD » Carlos Nine & Jorge Zentner- L’amirale des mers du Sud
Carlos Nine L’amirale des mers du Sud Couverture

Carlos Nine & Jorge Zentner- L’amirale des mers du Sud

L’aventure de L’amirale des mers du Sud à commencé au début des années 1990, lorsque l’Etat Espagnole débloque des fonds à l’occasion de la commémoration des 500 ans de la découverte du continent américain. Parmi les artistes sélectionnés figurent Jorge Zentner et Carlos Nine, chargés de réaliser une bande-dessinée sur cette thématique et respectivement scénariste et illustrateur de cet album.

Image Carlos Nine L’amirale des mers du Sud

Ils remontent alors le temps pour retranscrire l’épopée de Alvaro de Mendana et de son épouse Isabel Barreto voguant en compagnie de leur équipage à la recherche des îles Salomon, à la fin du XVI ème siècle. Le voyage va peu à peu les plonger dans une détresse croissante, les jours passant sans pour autant que le moindre rivage n’apparaisse. Vingt années se sont écoulées entre la première fois où le capitaine a foulé du pieds cette nouvelle terre, et il semble à présent incapable d’y mener son équipage. Alors que le désespoir est à son comble, un littoral émerge des flots: il s’agit des Îles Salomon sur lesquelles les survivants vont commencer à s’installer.

Très vite les natifs tentent de défendre leur territoire face à ces colons porteurs de maladies, de violence et de mort. Cependant Mendana souhaite créer un terrain d’entente avec les insulaires, échangeant quelques présents contre des vivres et du bétail afin de garantir la survie de la colonie. Mais ce climat paisible et pacifique sera réduit en cendre par quelques mutins qui briseront le fragile pacte et précipiteront le camp dans un véritable enfer, les conquistadors n’ayant plus accès aux ressources de l’île et condamnés à mourir lentement de faim.
S’en suit alors la fuite de cette terre si difficilement atteinte, devenue un mouroir, une prison aride. Le peu d’homme ayant survécu reprend la mer, et parmi les malades se trouve Mendana que ses forces abandonnent jour après jour.
A sa mort, c’est sa femme Isabel Barreto qui reprend le flambeau et devient alors l’amirale des mers du Sud, tenant à poursuivre la tâche commencée par son défunt époux: peupler ces nouvelles contrées à tout prix sans reculer devant aucun sacrifice.

Carlos Nine L’amirale des mers du Sud Image

Derrière cette bribe d’Histoire coloniale se cache un processus créatif inhabituel qui a poussé Carlos Nine dans ses derniers retranchements, le rendant père d’une oeuvre qu’il détestera toute sa vie.
Une effet, l’enchainement des événements fait qu’il est face à un délai de publication extrêmement court l’obligeant à bousculer ses méthodes afin de pouvoir terminer dans le temps imparti.

Il faut préciser que l’artiste argentin est un travailleur méticuleux, au mécanisme pictural très précis et laborieux, découpés en plusieurs longues étapes répétées tant que le résultat ne lui convient pas totalement. Tout d’abord il commence par des croquis préparatifs, puis un travail de reproduction simplifiant les lignes, une mise au propre souvent faite au fusain puis enfin une colorisation en plusieurs phases. Autant de paliers longs à gravir pour obtenir l’aboutissement final et impossibles à respecter en ces conditions. Cet aquarelliste a d’ailleurs une manière spécifique de travailler cette peinture: utilisant très peu d’eau et abhorrant ceux qui l’utilisent de façon très diluée comme l’explique son fils Lucas Nine dans la riche préface de cet album.

« Apôtre de la technique « à sec », Carlos Nine déverse ici de véritables cataractes d’aquarelle qui, courant comme des marées sur le papier, nuancées même par sa sueur (je crois me rappeler que cette année-là, l’été avait été particulièrement chaud), finissent par assimiler l’artiste à ces capitaines et amiraux qui, dans le texte de Zentner, défient l’élément liquide qu’est la mer. À la fin du processus, l’image de mon père ne laissait pas de rappeler celle d’un Lope de Aguirre ayant sombré dans la folie (souvenons-nous du film de Werner Herzog), à la dérive sur un radeau, porté par le torrent tumultueux de ses propres couleurs. J’exagère sans doute un peu, mais c’est à mettre sur le compte de l’éloignement des faits. »

Image L’amirale des mers du Sud Carlos NineCarlos Nine image L’amirale des mers du Sud

Les 46 pages sont donc composées de couleurs jetées sur des crayonnées, de nuances diluées sur des pages gorgées d’eau, plongées dans l’angoisse et la tension. L’auteur ne connait pas le repos et est en proie à un désarroi aussi grand que celui de ses protagonistes perdus en pleine mer. Les étendues aqueuses et le stress du peintre et de ce qu’il illustre se fondent et le force à un abandon total, une spontanéité qui marque un tournant dans son travail.

L’amirale des mers du Sud cache une réalisation épique et mouvementée, faisant incroyablement écho à l’ambiance de l’histoire même qui y est racontée: le périple se fait sur les deux plans et offre une expérience de lecture prenante.
Le travail effectué par les Editions de la Cerise face à cette bande-dessinée est lui-même assez inhabituel et sa publication est inédite en France. Les planches originels ayant disparues suite à l’édition de 1992 en Espagne, un énorme labeur à été nécéssaire pour obtenir ce résultat époustouflant.

C’est donc le récit d’un voyage: celui qui a été accompli sur les eaux du XVI ème siècle, celui qui est né du génie de Carlos Nine et de Jorge Zentner, celui d’une maison d’éditions soucieuse des belles choses et enfin celui du lecteur qui en découvrira l’aboutissement.

L’amirale des mers du Sud Carlos Nine image

Editions de la cerise
Traduit de l’espagnol par Isabelle Gagnon
55 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

Vous aimerez aussi

Sombres histoires

Parce que la peur peut être délicieuse, que les chimères et les monstres peuplant nos rêves ne doivent pas tomber dans l’oubli et que l’imaginaire fait parti de la vie, voici deux albums diamétralement opposés graphiquement mais qui promettent, chacun à sa façon, un instant magique et immersif, au petit goût de reviens-y.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Powered by keepvid themefull earn money