Blitz : campagne de bombardements intensifs menée par l’aviation allemande contre les Anglais entre l’automne 1940 et le printemps 1941.
Londres est au centre des frappes aériennes, laissant peu de répit aux civils…qui n’ont de civil que l’habit, car en temps de guerre “il n’y a pas de civils”. Chacun tente de sauver sa peau, priant pour ne pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Mais c’est là que se retrouvent Polly, Merope et Michael ; coincés dans l’Histoire face à une énigme qui les dépasse quand ils se rendent compte que leurs portes de transfert ne s’ouvrent plus. À partir de là, les “et si” deviennent récurrents :
Et s’ils pouvaient modifier le passé ?
Et s’ils avaient interférer avec l’Histoire ?
Et si quelque chose de grave était survenu à Oxford ?
“Quand je me rappelle les années de guerre, je ne peux m’empêcher de penser que le temps mesure leur durée de façon inadéquate et toujours capricieuse” W. Churchill, 06/11/1944
Oxford, 2060. Depuis quarante ans, les historiens voyagent dans le temps pour étudier les évènements historiques en temps réel. Naviguer entre le présent et le passé est devenu le cœur même de leur métier. S’ils peuvent vivre et mourir à une époque qui n’est pas la leur, il est dit qu’ils ne peuvent pas modifier le passé. Mais quand les rouages du temps semblent se dérégler, quand “les imprévus deviennent autant d’entraves”¹ qui les empêchent de retourner chez eux, chaque minute, chaque rencontre, devient déterminante pour l’avenir.
“Ces ombres représentent-elles la réalité à venir, ou seulement ce qu’elle pourrait devenir ?” Charles Dickens, Un chant de Noël
Alors que Colin tanne le directeur universitaire pour partir en mission avant l’âge requis, Polly, qu’il assiste avec passion dans ses recherches, part pour Londres, au début du Blitz. De leur côté, Merope (alias Eileen) s’occupe d’enfants évacués à la campagne et Michael part pour Douvres, observer les héros de guerre… tandis que d’autres partent étudier le débarquement américain ou la guerre du Vietnam.
Mais les imprévus s’invitent très vite dans la mécanique du temps, repoussant d’une fois sur l’autre le retour au présent… et c’est à travers une construction habilement menée que Connie Willis nous embarque en plein Blitz, au cœur de l’évacuation de Dunkerque ou encore dans le sillon d’Alf et Binnie, deux gosses évacués que rien ne semble perturber, toujours à l’affût d’un mauvais tour à jouer, de gens à effrayer ou à détrousser. C’est ainsi que l’on se retrouve coincés avec Eileen, Polly et Mike dans le passé sans une seule idée de ce qui a pu déraillé, sans une seule nouvelle d’Oxford…. C’est ainsi que le passé est devenu leur présent.
“Quand on est en guerre, la gestion du temps est capitale” Sir Walter Thomas Layton 1940
Et quand on vient du futur et que l’on est bloqué en plein Blitz, soumis au “Black-out” et aux raids aériens, sans aucune explication, le temps semble infinie, et en même temps, tout se précipite sans qu’on ne puisse rien y faire. On est dans le flou quand on voudrait que tout soit clair…et c’est là que réside le coup de génie de Connie Willis : elle joue avec l’interrupteur, entretient sans cesse le doute et l’espoir, nous laisse dans l’attente et l’ignorance d’une issue possible. Londres brûle sous les bombes et nous d’impatience tandis que sous nos doigts, les pages tournent à toute vitesse.
“Au sens propre, et dans son essence, la bombe volante est une arme de hasard, et cela vaut aussi bien pour sa nature, ses objectifs ou ses effets” W. Churchill, 1944
Connie Willis nous tient donc en haleine du début à la fin. Elle joue avec nos nerfs tout au long du premier tome qui nous enveloppe dans une lente montée en tension pour nous rassasier d’énigmes dans le second tome où les choses commencent à s’éclaircir, mais par étincelles. On obtient des semblants de réponses pour des milliers d’autres questions, jusqu’au dénouement final qui conclut magistralement cette épopée à travers le temps…
…“Cherchant à détisser, dérouler, démêler et rapiécer ensemble le passé avec le futur” T.S. Eliot, Quatre Quators
Connie Willis a reçu le Prix Hugo, le Prix Nebula et le Prix Locus pour ce diptyque maîtrisé de bout en bout.
¹ Shakespeare, Hamlet
éd. Bragelonne, 2012-2013 (V.O 2010)
T1-Black-out, 666 pages; T2-All clear, 719 pages
traduit de l’anglais (États-Unis) par Joëlle Wintrebert et Isabelle Crouzet
Pauline