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Un dernier désir avant la fin du monde

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Premier mais pas dernier ouvrage de la collection BD Cul des Editions les requins marteaux, Comtesse d’Aude Picault entame en grande fanfare cette anthologie aussi sulfureuse qu’éclectique qui donne chaud. Diplômée des Arts Décoratifs, cette illustratrice-caricaturiste-joueuse de trombone taquine de la plume aussi bien pour les petites maisons d’éditions indépendantes que pour les tabloïdes, toujours avec une justesse et une finesse sans égale.

 

Sous le trait délicat et bleuté d’Aude Picault, la Comtesse est bien frustrée: elle si jeune, si belle et surtout si vierge et si déçue lorsque son mari, en plus de n’être plus tout jeune et pas franchement attirant, tire la gueule et ne daigne même pas lui accorder la moindre caresse pendant leur nuit de noce. Faire contre mauvaise fortune bon coeur devient alors le credo de la jeune bourgeoise, qui de toute façon ne saurait taire les coups de chauds qui l’assaillent et lui montent aussi bien aux joues qu’entre les cuisses.
Consciente de son corps voluptueux correspondant aux canons de beauté de l’époque de cette Renaissance, elle se laisse peu à peu aller aux rêveries douces des fantasmes sexuels, d’autant plus que le valet qu’elle croise et recroise ne l’a laisse pas indifférente.
Au fil des jours la moindre posture ou le moindre regard entrecroisé déclenche une jolie divagation déshabillée: accoudée au guéridon, nue dans baignoire, assise sur son sofa à siroter son thé, autant de petites actions de tous les jours qui se transforment en fantasmes moites et sensuels.

Aude Picault se passe de mots avec succès; pas besoin de vers qui alourdiraient son dessin. D’une finesse sans égale, elle glisse du réel planplan à l’imaginaire torride en un claquement de doigts.
Mine de rien, elle parle de la sexualité féminine comme personne: au final, Comtesse ou pas, la femme a bien le droit de se faire plaisir et d’accepter ses pulsions sexuelles sans honte. Illustrant aussi bien la masturbation que les plaisirs de la chairs et le libertinage entre personnes du même sexe au coeur d’une époque où les ébats charnels étaient peut-être bien beaucoup plus libres qu’aujourd’hui, elle signe un délicieux récit.
Les pages de Comtesse sont emplies de non-dits coquins, de soupirs, de froissements de tissus et de gémissements passionnés: c’est un album graphique plein de torpeur.

Editions Les Requins Marteaux
Collection BD-Cul
120 pages

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est toujours un peu la joie quand un auteur que l’on suit depuis longtemps sort sa première bande-dessinée, surtout lorsque celle-ci est réussie! Si vous ne connaissez pas le génialisme blog LLRNCPDLC de Marie Spénale, je vous invite tout d’abord à aller y jeter un coup d’oeil: au fil de ce fameux Les Lapins Roses ne Courent Plus Dans Les Champs on peut assister à l’évolution graphique de la jeune illustratrice bruxelloise jusqu’à son album sorti cet été: Heidi au printemps.

Marie Spénale s’est librement inspiré de la célèbre oeuvre de Johanna Spyri pour en écrire la suite à sa façon. Le petite Heidi malicieuse et boute-en-train s’émerveillant de peu de chose et gambadant à travers champs avec Blanchette a bien changé. Devenue ado, elle commence à s’ennuyer entre les quatre murs en pierre du chalet de son gentil grand-père. La Bible elle l’a lue et relue, les pâturages elle les connait par coeurs et les lettres de son amie Clara vivant à Francfort lui mettent des étoiles plein la tête: bals, belles robes et beaux garçons commencent à la travailler… Dans un premier temps, cette lassitude de tout va être assimilée à l’hiver et ses journées un peu trop ternes, mais le printemps revient et voilà que les choses prennent de l’ampleur à la vue de Peter, son ami d’enfance qui a également bien grandi.
Bien vite, Heidi passe à l’action, se laissant aller aux ondes de ses envies; les corps se découvrent et s’enlacent… un peu trop rapidement au goût de la jeune fille. Ces premiers émois sexuels l’a laissent plutôt sur sa faim, Peter pensant à son plaisir sans s’inquiéter de celui de sa partenaire. Et voilà qu’il parle de surcroit de mariage et d’enfance!
Mais Marie Spénale fait de sa Heidi une jeune femme déterminée et indépendante, qui sait faire la part des choses entre sexualité et amour.  Son caractère bien trempé et l’écoute qu’elle porte aux changements de son corps et de ses envies en font un personnage féministe aux antipodes de la figure naïve et  serviable.

 

Ce passage de l’enfance à l’âge adulte où tout change sans prévenir va mener notre héroïne à également reconsidérer son grand-père adoré. Dans Heidi au Printemps, Marie Spénale tue la figure du père et de domination patriarcal à travers les hallucinations de sa protagoniste principale, confuse et perdue dans le tourbillons de ses craintes et de ses découvertes.
En effet, Heidi assimile son protecteur à un ours, une bête fauve attendant son heure et la traquant afin de la dévorer. Cette crainte du viol due à l’environnement à la fois sans frontière et étriqué dans lequel elle a grandi est une représentation de la perte de repère forte et terrible. Où trouver refuge lorsque son amant est nul et égoïste et son mentor trop protecteur, lorsque l’on ne sait même plus sois-même de quoi l’on a envie et besoin?

Emouvante et sensible, Heidi au Printemps est une jolie bande-dessinée qui traite avec justesse des émois sexuels, de la déception, de l’ennui et de l’appréhension adolescente. Marie Spénale nous émerveille avec des planches aux couleurs chatoyantes évoluant au gré des saisons tout en gardant l’aspect épuré de son dessin. Son héroïne à la fois tendre et forte délivre un message d’indépendance féminin en s’appuyant la trame d’une mignon histoire pour enfant: en s’appropriant et en faisant évoluer les personnages crées par Johanna Spyri, la jeune auteure peut se féliciter d’avoir réalisé une première bande-dessinée aussi bien réussie sur le fond que sur la forme.

 

Editions Delcourt
122 pages

À propos Caroline

Chroniqueuse

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