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Emma Donoghue – Room

«Même si je ne lui dis pas (à cause des bonnes manières), il a tout faux : c’est l’inverse. Dans la Chambre j’étais à l’abri, c’est le Dehors qui fait peur.»

Jack a cinq ans quand il découvre qu’à l’extérieur aussi une semaine compte sept jours, qu’il existe d’autres exemplaires que le sien d’Alice au pays des merveilles, que les fleurs poussent dans la nature… En fait, tout ce qui nous paraît évident ne l’est pas forcément pour lui.

Depuis toujours le monde tourne autour de sa mère, entre Madame Lucarne et Monsieur Dressing ; et sa vie est rythmée par les Cadeaux du Dimanche, la douche du mercredi, Madame Télé et diverses activités inventées avec les moyens du bord. Son univers n’est pas régi par les mêmes repères spatio-temporels que ceux du Dehors. Pour lui, tout ce qui se trouve au-delà de son espace vital vient d’autres planètes. Ce qu’il voit à la télé n’appartient pas à sa réalité. D’ailleurs, le réel et l’invention sont des conceptions qu’il ne maîtrise pas vraiment.

«Quand j’avais quatre ans, je croyais que tout dans Madame Télé existait juste à la télé ; après j’ai eu cinq ans et Maman m’a dit qu’en vrai plein d’images montraient vraiment des choses et que tout le Dehors existait pour de vrai. Sauf que maintenant, je suis dans le Dehors mais il y en a plein des pas vraiment vrai.»

Pour Jack mettre un pied à l’Extérieur revient à se retrouver sans boussole dans la jungle, avec tous les dangers et les imprévus qu’elle renferme. La découverte d’une nature et d’une urbanité aussi vastes qu’inconnues, de nouveaux objets auxquels il faut se familiariser mais aussi l’immersion soudaine dans une vie sociale auparavant inexistante – toutes ces choses qu’on assimile progressivement par la vue, l’odorat, l’ouïe, le toucher, dès notre naissance – sont pour Jack des électrochocs quotidiens. Chaque jour, il est contraint de redéfinir son rapport au monde, à sa mère et à lui-même.

À travers la vision décalée qu’a Jack de l’existence, Emma Donoghue souligne à quel point notre perception du monde et notre construction individuelle sont conditionnées par l’environnement familial, culturel et social dans lequel on grandit. Mais aussi que l’enfance reste le champ de tous les possibles ; une période où le pouvoir créatif est plus fort qu’une réalité implacable, même si elle laisse des traces indélébiles. Aucun traumatisme n’est insurmontable, tout dépend de la manière dont il est vécu.

«Je me retourne une dernière fois : c’est comme un cratère, un trou à l’endroit où quelque chose s’est passé. Et on retourne dehors.»

Room est troublant, notamment dans la capacité qu’a eu Emma Donoghue à se glisser dans la peau de Jack, l’air de rien.

Room E. Donoghueéd. Stock (La Cosmopolite), 2011
400 pages
trad. Virginie Buhl

Pauline

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Chroniqueuse

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