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Henri Alexandre Gervex, "Soirée au Pré Catelan" en 1909

Les ghettos du gotha – Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

Si l’on vous demande de vous figurer un ou une militant.e, vous vous imaginez sans doute un individu plutôt jeune, portant un tee – ou un sweat shirt aux couleurs de la cause qu’il défend, hurlant des slogans dans un mégaphone lors de manifestations populaires avec les clichés qu’il vous plaira d’apparenter à votre image mentale (dreadlocks ou saucisses-merguez) Dans ce cas, attendez-vous à une fulgurante remise en question de votre propre perception du monde en entrant dans Les ghettos du ghota. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, célèbre couple de sociologues et anciens directeurs de recherche au CNRS, proposent une relecture du concept de militantisme à l’aune de leurs années de recherche sur la grande bourgeoisie.

Il ne serait venu à personne l’idée de qualifier de militante la belle-mère de Valéry Girscard d’Estaing lorsqu’elle distribuait des tracts dans les boîtes aux lettres de ses voisins de la rue du Cirque, dans le 8ème arrondissement de Paris, entre l’avenue Matignon et l’avenue de Marigny, à deux pas de l’Elysée, qui avait été le logement de fonction de son gendre.

“Vigilante et discrète”, la haute-bourgeoisie se veut extrêmement combative lorsqu’il s’agit de défendre ses espaces au sens propre (valeur historique et architecturale de ses arrondissements parisiens, châteaux en province, golfes etc.) comme au figuré (lieux de concentration du pouvoir). Cultivant l’entre-soi, la grande bourgeoisie, pour les Pinçon-Charlot, s’emmure dans de véritables ghettos. L’attirail qu’elle déploie est immense, pas besoin de réunions publiques ni d’occupations des lieux, un peu de tractage mais surtout sur un solide réseau aux branches ancrées dans les plus hautes sphères du pouvoir (directions d’entreprises, hautes écoles, ONG, Parlement) pour défendre son inscription dans l’espace et le temps.

Pénétrer dans un cercle, c’est partir en voyage, dans une contrée peuplée d’une seule ethnie : tout le monde se ressemble.

Les ghettos du gotha se veut à la fois une enquête sérieuse, documentée et d’une grande littérarité qui permet à un novice en sociologie d’appréhender sans difficulté aucune les concepts. Après quelques chapitre d’exposition de l’existence quasi-insoupçonnée de ghettos de riches, et anticipant sur les interrogations d’un lecteur abasourdi autour d’une éventuelle théorie du complot à coups de recherches et d’exemples précis sur le sujet, les Pinçon-Charlot dévoilent au fil des pages les revendications et les contradictions de cette haute-bourgeoisie. Les voix réelles du gotha restent discrètes, apparaissent dans de concises citations extraites de leurs longs entretiens (revus et corrigés, comme l’exige la publication), expliquant sans doute la difficulté d’entrer, même pour des chercheurs, dans ces cercles très hermétiques.

La grille de la dernière terrasse, au lieu d’ouvrir sur les véhicules empruntant la départementale, débouche désormais sur le ciel. Ce qui restitue au jardin son caractère mystique, de lente montée vers la perfection céleste depuis les horizons terrestres.

Les ghettos du ghota est une nourriture sans égal pour l’esprit et les sens. Le lecteur suit les chercheurs dans leurs longues promenades sociologiques créant une atmosphère propice au ressenti de la violence symbolique qui s’exerce par la fréquentation de lieux où l’on ne se sent pas à sa place et à un émerveillement naïf. La plume épouse le sujet qu’elle étudie. Les sociologues font entrer le lecteur dans un monde de princes et de princesses, posent le décors des cas pratiques et resserrent jusqu’à en extraire la moelle sociologique. En toute sécurité, le lecteur peut se balader dans ces ghettos avec pour guide l’esprit de synthèse des chercheurs.

Sonia

gothaLes ghettos du ghota. Au cœur de la grande bourgeoisie.  Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Points, 2010, 337 p.

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