Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
J’ai deux amours, Capek et Vonnegut. Je vous avais parlé du premier ici, voici le second.
Foma, karass et wampeter
Appelez-le Jonas. Il est journaliste et voudrait bien écrire un livre sur le jour de l’explosion de la première bombe atomique. Ou plus précisément sur ce qui s’est passé ce jour-là dans la famille du Dr Félix Hoenikker, l’un des pères de la bombe. Il va donc entrer en contact avec les enfants de ce dernier: Newt, nain, peintre, couvé par sa grande soeur Angela, géante, substitut de mère pour ses deux frères et son père. Et Franklin, que sa famille et le narrateur recherchent, et qu’ils retrouveront sur les plages de San Lorenzo, république bananière des Caraïbes. Il y a trouvé refuge et est devenu, à sa grande surprise, ministre de la science et du progrès et général de brigade de la république de San Lorenzo.
Et notre Jonas, converti au bokononisme, la religion locale, nous raconte l’incroyable aventure de sa virée à San Lorenzo, la formation de son karass, les enfants Hoenikker et la Glace-9, qui ferait un terrifiant wampeter. Parce qu’on imagine quand même bien que le père fondateur de la bombe atomique ne s’est pas arrêté à cette grande idée ! Il a, avant sa mort, créé cette arme qui transforme les molécules d’eau en glace. Et cette Glace-9, les enfants Hoenikker l’ont récupérée et la gardent plus ou moins précieusement.
Ça sent le poll-pah (courroux divin ou tempête de merde, selon le contexte) à plein nez tout ça.
« Laisse le foma diriger ta vie. Il te fait brave et agréable, il te rend bien portant et heureux »
Les livres de Bokonon, 1-5
Telle est la fondation du bokononisme: le foma, le mensonge. Lorsque Lionel Boyd Johnson, alias Bokonon, et Earl McCabe, le premier dictateur de l’île, mirent sur pied la république de San Lorenzo, ils se rendirent vite compte que rien ne pourrait soulager la population de la misère dans laquelle elle vivait, aucune décision politique ou économique. Alors Bokonon décida de devenir hors-la-loi afin que sa religion, seul discours efficace contre l’absence de sens de la vie, mette un peu de sel dans le quotidien des habitants. Tous se convertirent donc au christianisme et pratiquaient en cachette les rites bokononistes, en dépit de la menace de mourir sur le n’krowo. Rien de tel que l’affrontement entre un dictateur cruel et un saint homme pour rendre un peuple heureux. Et les San Lorenziens, conscients de la situation, s’investirent également dans ce spectacle universel.
Mais où est le berceau? Et où est le chat?
« Dites ce mot “l’Histoire!”, et retenez vos larmes! »
Après Abattoir 5 et Les sirènes de Titan, je peux enfin le dire avec aplomb: Vonnegut est un génie! Cynique, satirique, humaniste, pessimiste, drôle, inventif… il n’y a rien qui manque dans ses romans. Le berceau du chat en est un exemple parfait. Traumatisé par la 2nde guerre mondiale pendant laquelle il a servi en tant que soldat (il ne faut pas passer à côté d’Abattoir 5 dans lequel il raconte son expérience de prisonnier de guerre pendant le bombardement de Dresde), Vonnegut reprend comme fil rouge le comportement humain dans toute sa bêtise. Il met en avant notre capacité incompréhensible à la répétition des pires choses, notre incompétence sociale, notre irresponsabilité scientifique et notre talent (inné ?) à nous autodétruire.
Bref, tout ça pour essayer de dire (et je demande ton indulgence, lectrice, lecteur, c’est pas facile d’expliquer le pourquoi du parce que quand on aime!) qu’il ne faut absolument pas passer à côté de Vonnegut.
«- Vous? fis-je sidéré. Bokononistes aussi?
Il me regarda droit dans les yeux.
– Vous aussi. Vous verrez. »
Points
256 pages
Marcelline
