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La fin de l’homme rouge – Svetlana Alexievitch

la-fin-de-l-homme-rouge-ou-le-temps-du-desenchantement,M118443 Imaginez que l’on vous présente une société idéale, où chacun serait l’égal de l’autre, où il n’y aurait ni pauvre, ni riche, où la culture serait mise sur un piédestal, où chacun travaillerait pour le bonheur de tous, sans exploitation, sans esclavage.
Maintenant transposez le tout dans le monde réel, avec des humains comme on sait si bien les faire: égoïstes, acharnés, en recherche de pouvoir. Et regardez cette belle utopie s’écrouler sur elle-même.
On connaît tous les grandes étapes de la construction de l’URSS, son apothéose pendant la guerre froide et sa fin triste et grise sous la neige humide. On a tous plus ou moins en tête les suites géopolitiques de sa disparition.
Et les soviétiques, dans tout ça?

Svetlana Alexievitch ne cherche pas à comprendre le pourquoi de l’effondrement de l’URSS. Elle veut montrer les conséquences de cette chute dans le quotidien de millions de personnes. Trouver et garder une trace de ce qu’était l’Union Soviétique.
Armée d’un dictaphone et d’une oreille fine, elle part, à travers la Russie, à travers le temps, à la rencontre de celles et ceux qui ont vécu l’URSS, qui ont participé à son existence, qui en ont payé le prix.

« Tu sais ce qu’on dit des Soviétiques: mauvais comme des chiens, muets comme des carpes »

On peut facilement caricaturer l’homo sovieticus en le ramenant à sa forme la plus basique, à la Tintin chez les Soviets: un homme frustre, seul, un peu fourbe, qui ne peut vivre que sous une dictature, quelle qu’elle soit. Mais l’URSS était un grand, un vaste, un immense pays, rassemblant un grand nombre de peuples différents, tous unis sous bannière rouge à faucille et marteau. Svetlana Alexievitch donne la parole à ces gens-là. Ceux que l’on a oublié. Qui n’ont jamais vraiment existé. Chez Alexievitch, l’homme rouge est souvent une femme.

Deux parties, deux temps, deux générations. Celle qui est née, a vécu avec le communisme, et l’a vu tomber, s’affaler, ce géant aux pieds d’argile, sans trop savoir qu’en penser.
Puis celle qui n’en a connu que les derniers râles, la jeunesse pour qui l’URSS mourante ressemblait déjà à une carte postale sépia, et qui attendait de voir ce qui pouvait bien se cacher derrière.
Vingt histoires, de multiples voix. L’auteure laisse aller le fil de la parole, ce fil ténu qui pour beaucoup n’avait jamais été tissé. Car qui préfère à la grande la petite histoire? Pourtant avec un pays comme l’URSS, la démarche et le projet de Svetlana Alexievitch prend toute sa dimension. Il est impossible de raconter le communisme soviétique. Ses horreurs, ses rêves, son utopie, ses monstres, ses habitants, son esprit.
Souvenir de déportation, d’arrestation, de vie dans les camps. La guerre, l’après-guerre. La chute. Les mariages, les naissances, les morts. Les samizdats qui se prêtent sous le manteau, les discussions passionnées la nuit à voix basse. Puis le grand nulle part. L’éclatement des intérêts personnels, le besoin vital de devenir plus riche que son voisin, de faire de l’argent. On laisse Soljenitsyne pour Gazprom. On construit du nouveau sur du rien. Et c’est là que faille se fait. Comment demander à un peuple d’oublier simplement plus de soixante-dix ans d’histoire? Des années de violence et de rêves, malgré tout.
Comment accepter l’absence d’idéal de la nouvelle génération? Comment justement vit-elle son passé communiste cette jeunesse? Est-elle si vide de rêves, d’espoir, que ça?

La fin de l’homme rouge fait partie de ces livres qu’il faut avoir, qu’il faut lire. Doucement, à son rythme, car ces récits de vie sont souvent bouleversants, parfois insupportables. La narration est à l’image de la personne qui se confie. Svetlana Alexievitch n’intervient que très peu dans les entretiens, et nous laisse en entier plonger dans ce flot de paroles, qui part d’une histoire personnelle pour aller vers l’infini.

542 pages
Actes Sud
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Marcelline

À propos Marcelline

Chroniqueuse/Co-Fondatrice

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