« C’est un roc!
C’est un pic.
C’est un cap!
Que dis-je, c’est un cap? C’est une péninsule! »
Cette tirade vous est familière? Immédiatement, l’image d’un homme coiffé d’un chapeau de mousquetaire au large panache et affublé d’un nez plus que proéminent vous apparaît? Tout ceci est logique lorsque l’on sait que Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand est la pièce qui a remporté le plus vif succès en France et qu’elle reste encore la plus jouée de nos jours, plus de 120 ans après sa toute première représentation en 1897 au théâtre parisien de la Porte-Saint-Martin. Léonard Chemineau s’inspire de la pièce à succès d’Alexis Michalik pour mettre en image l’histoire qui se cache derrière ce phénomène théâtral sans précédent, dans une adaptation vaudevillesque en bande-dessinée.
Edmond Rostand, marié et père de deux enfants, approche de la trentaine. Poète endetté, il cumule les impayés et l’écriture de pièces de théâtre dont la dernière en date est La princesse lointaine, totalement en vers et interprétée par la très célèbre Sarah Bernhardt. Malgré la renommée de l’actrice, cette représentation est un véritable four; le public s’ennuie ferme et les critiques sont plus qu’acerbes et mécontentes.
Il faut dire que dans cette France du début du XIX ème siècle, l’ambiance globale est plutôt morose et les contextes politiques et sociaux assez sombres. Le peuple a besoin de divertissement et est donc friand de vaudeville, de comédie et de théâtre de boulevard… Styles bien éloignés de la plume romantique d’Edmond, qui assiste également aux premières diffusions des films des frères Lumière. Cette découverte historique semble être une menace de plus envers un art déjà en crise, au grand malheur de notre poéte.
Déprimé, il tente le tout pour le tout en convainquant un des plus grand acteur français, Constant Coquelin, à jouer dans sa prochaine pièce… qui n’est pas encore écrite!
Contre toute attente, Coquelin est emballé et demande pas moins de 3 actes d’une comédie dont la représentation sera dans 3 semaines, ni plus, ni moins.
S’inspirant du registre théâtral, Léonard Chemineau dresse une histoire fantasmée et galopante, une course contre la montre essoufflée. Avec une palettes de personnages hauts en couleurs, il invente une véritable pièce derrière la pièce, pleine d’intrigues, de rebondissements, d’humour et de situations rocambolesques. Ainsi, le meilleur ami d’Edmond, le Don Juan Léonidas, devient Christian, la belle courtière derrière laquelle ce dernier cavale, Roxanne, et Edmond lui-même, Cyrano.
A grands coups de correspondances épistolaires romantiques et enfiévrées, de quiproquos et de muses par procuration, le récit aux accents vaudevillesques se déroule tout seul dans une lecture enjouée.
Les grandes figures de l’époque sont aussi ajoutées à la narration, et l’on croise en plus de Coquelin, de Sarah Bernhard ou des frères Lumière, les fameux Courteline et Feydeau. Ce jeu entre réalité et fiction provoque un délicieux mélange où l’on se surprend à entrer dans le jeu d’Alexis Michalik et de Léonard Chemineau en s’imaginant que, peut-être, Cyrano de Bergerac a été crée dans ce « au fur et à mesure », par des éclairs de génie et des romances imaginées, le tout dans un rythme mêlant passion du théâtre et contre-temps en cascade.
En effet, jusqu’à la toute dernière minute de sa première représentation, Cyrano de Bergerac a été une aventure de dernière chance pour nombreux de ses participants, qui craignaient plus que tout l’échec cuisant. Après 20 minutes d’applaudissements sans discontinue, il c’est avéré que c’était un véritable succès.
Cette adaptation en bande-dessinée est à la hauteur des attentes: les aquarelles sont lumineuses, pétillantes, la narration et la découpe plus que dynamiques et l’intrigue monte en puissance, au rythme de la pièce qui prend graduellement forme. Mais une fois ce livre refermé, une chose est sûre: Edmond mérite également un tonnerre d’applaudissements.
Editions Rue de Sèvres
120 pages
Caroline