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Natalia Garcia Freire, Mortepeau

Avec ce texte dense et sombre, Natalia Garcia Freire signe avec Mortepeau un premier roman des plus envoûtants. A travers une écriture singulière elle donne la parole à Lucas, narrateur de cette triste histoire, qui s’adresse à son père aujourd’hui mort. Le jeune garçon, ses parents et leurs quatre domestiques coulent des jours paisibles quelque part dans la campagne équatorienne, à une époque indéterminée. L’arrivée soudaine et inquiétante de deux inconnus, dont les intentions restent cachées, va pourtant bouleverser l’ordre de cette douce existence.

Mortepeau est le récit de la déchéance et de la déréliction. Il y règne une tension accaparante qui met la sensibilité à fleur de peau. Par ailleurs, l’autrice équatorienne cisèle chaque détail, dans une écriture éminemment poétique. Elle dépeint notamment les fleurs que cultive Josefina, la mère de Lucas, et le soin tout particulier qu’elle apporte à son jardin. Les insectes, eux aussi, jouent un rôle important dans le roman. Passionnée d’entomologie, Josefina transmettra en effet son engouement à son fils, jusqu’à la fascination, jusqu’à ce qu’il se sente lui-même un petit animal. De larve à chrysalide : vers une possible renaissance.

C’est donc à hauteur des yeux d’enfant de Lucas que nous traversons cette histoire. Nous n’irons cependant pas plus loin que le jardin, peu à peu abandonné et dans lequel le père a été enterré. La maison isolée, inspirée de celle de la grand-mère de l’autrice, constituera le théâtre de ce huis clos, tour à tour cocon et prison. Les souvenirs du petit garçon, témoin traumatisé de la chute de sa famille, ont parfois la consistance vaporeuse d’un rêve. Ici, tout est délicieusement étrange.

Que devient la cire de la bougie qui s’éteint ?

Où va-t-elle ?

Elle se change en cauchemar nocturne.

Un cauchemar pareil à un fin brouillard qui pénètre dans les oreilles.

Ce roman est tout simplement beau. Il sent la terre mouillée par la pluie et la poussière d’une bibliothèque close. Dans cette dernière, une collection de livres anciens sur les insectes et de fleurs séchées figent l’endroit dans le temps. Tout autour, des animaux dont les comportements restent incompris, annoncent les présages du malheur.

Mortepeau est aussi un roman sur la violence de l’enfance, la perte de l’innocence et le passage à l’âge adulte. Les mots, l’imagination, les insectes et la terre y sont présentés comme autant de médiateurs entre ces deux mondes.

Il a posé son cartable sur ses genoux et en a tiré un livre que nous n’avions jamais abordé pendant nos leçons. La couverture était en cuir brun et s’écaillait comme le tronc des arbres mouillés. Il était lourd et doux et avait l’odeur d’un objet lointain. Je l’ai ouvert au hasard, comme par superstition, et j’ai lu : « Il faut parfois des années pour assister à une complète métamorphose. Certains insectes mettent très longtemps avant de quitter leur chrysalide. »

Plus largement, Natalia Garcia Freire entame une réflexion sur la présence pesante de la religion catholique dans son pays, aborde les thèmes de la mort et de la maladie avec brio, et la folie n’est jamais très loin dans ce roman gothique magnifiquement maîtrisé.

Natalia Garcia Freire, Mortepeau, Christian Bourgois éditeurTitre original : Nuestra piel muerta.

Traduit de l’espagnol (Equateur) par Isabelle Gugnon.

Paru le 2 septembre 2021 aux éditions Christian Bourgois.

160 pages.

amélie

À propos Amélie

Bibliophage et souris de bibliothèque depuis 1989.

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