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Patrick Froehlich Avant tout ne pas nuire

Patrick Froehlich- Avant tout ne pas nuire

Primum non nocere: syntagme latin signifiant Avant tout ne pas nuire, enseigné aux étudiants en médecine et pharmacie.
Avant tout ne pas nuire: premier volet de la trilogie des Corps Étrangers écrit par Patrick Froehlich, ancien chirurgien ayant vécu à Lyon et Bruxelles pour finalement s’installer à Montréal.
L’intrigue de ce roman se déroule au coeur de ces trois villes, brouillant les pistes entre biographie fictive et introspection au scalpel, qui commence par une simple question posée par la fille du narrateur à celui-ci: “Tu n’as jamais fait de mal à un enfant? Dis-moi que tu n’as jamais fait de mal à un enfant que tu soignes.

L’évidence première qui s’offre tout naturellement à ce spécialiste en chirurgie pédiatrique le pousse à répondre par un “non” aussi franc qu’inébranlable, et pourtant… Pourtant cette négation d’un premier abord honnête va l’entraîner dans une réflexion profonde sur lui-même, son travail, ses patients. Cette trinité évoque le triangle d’Hippocrate (médecin-malade-maladie), fondement de tout enseignement dans le corps médical ponctuant ce roman de Patrick Froehlich. Celui-ci remonte le cours du temps, revient sur les années de fac de son protagoniste tourmenté par la phobie de souffrir et de faire souffrir, et dissèque.
Cette locution rudimentaire, “avant tout ne pas nuire“, le fait qu’un patient est aussi un être qui souffre, les acquis ancestraux tels que “face aux maladies, avoir deux choses à l’esprit: faire du bien, ou au moins ne pas faire de mal” sont autant d’évidences qui pourtant ne sont pas forcément appliquées par le corps médical et semblent plutôt prendre la forme de vestiges idylliques remplacées par une réalité tout autre dés les premières années de facultés en médecine. Car le patient n’est pas considéré dans son ensemble corps-esprit, mais plutôt comme un iceberg auquel il faut retirer la partie émergente malade sans forcément tenir compte de ce qui est caché dessous. On y découvre des lignes rabâchées et apprises par coeur parfois vides de sens et un détachement vis-à-vis du patient qui devient un sujet d’opération fractionné, détaché du vivant sensible.

L’apprentissage aggrave ma fragmentation en me focalisant sut la réparations des zones abimées. Nous entrons dans un fonctionement très particulier, qui se déclenche automatiquement, oubliant pendant le processus que nos mains, nos bras et coudes prenent appui sur la poitrine, une épaule, le cou. L’isolement de la portion à traiter prévient tout l’affect, limite tout ressenti. Nous sommes concentrés sur une artère qui saigne, des ciseaux qui coupent mal. Nous nous détachons de l’enfant comme source de joie et de misère, cette mise à distance est souhaitable pour avancer efficacement dans la matière vivante.

Le narrateur y est d’autant plus sensible qu’il ne supporte pas la moindre douleur et encore moins l’idée même de faire mal à autrui, encore plus lorsqu’il s’agit d’un enfant. Et pourtant, malgré ce rapport particulier au corps il sait qu’il a fait souffrir volontairement, que ce soit par emportement ou sous le masque d’une fausse excuse, d’un épuisement nerveux.
Dans ce premier volet du triptyque Corps Etrangers, Patrick Froehlich remue beaucoup de choses. Tout d’abord, il décrit un médecin humain, avec ses doutes et ses faiblesses, porté par un souhait très réalisable au premier abord mais qui s’avère au final quasi-utopique. Puis il y a aussi le tabou de l’enfant qui souffre à cause des adultes, que ce soit par une pratique chirurgicale où l’on a préféré la rapidité à l’empathie ou bien par une gifle, une punition portée par besoin d’extérioriser une honte, un agacement, une colère contre sois-même.

Le modèle constitué du bon époux et bon père, d’une mère et d’un enfant, dans lequel je suis né et j’ai grandi, représentait la référence en vigueur dans le milieu des médecins qui m’ont éduqué. A leur contact j’étais, comme eux, imperméable aux nouvelles lois et réformes sur la famille, indifférent aux transformations de société dont j’ignorais souvent jusqu’a l’existence, ou auxquelles nous répondions sans réfléchir par le sarcasme et le ricanement.

Il remonte les générations, s’interrogeant sur des pratiques patriarcales acquises inconsciemment, se questionne sur le rôle des parents et la manière dont ils l’endossent, cette monarchie héréditaire de l’éducation. A cela se mêle également le passé d’un quartier de Lyon où Klaus Barbie a sévi de la plus terrible des manières en torturant par plaisir et vice. Devoir de mémoire, enseignement et héritage sont autant de leviers utilisés par Patrick Froehlich dans cette introspection aiguë comme une lame.
Les strates sont nombreuses mais intimement imbriquées et la réflexion du narrateur se déroule dans la logique d’une pensée indéfectible et sans le moindre à-coup, allant parfois jusqu’à se fondre avec celle du lecteur. Que l’on soit ou non intéressé par le domaine de la médecine ou de la chirurgie, Avant tout ne pas nuire est un livre absorbant aux réflexions contagieuses.

J’oublie en prenant une tequila, je crois oublier, que j’ai approché durant toute la journée le corps par parties, zones, fragments délimités et encadrés. Je suis incapable de penser le corps dans sa totalité. Je suis un ignorant qui avait eu tout à apprendre de son fonctionnement, à partir de sa chimie, sa biologie, sa structure. Vingt-six matières en tout composent son études, vingt-six matières nous formatent à la sortie de l’adolescence, avant qu’on ait eu le temps d’aimer en entier.

 

Patrick Froehlich Avant tout ne pas nuire

Les Allusifs
112 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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