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Simon Johannin – L’Été des charognes

L’été des charognes est paru aux Éditions Allia en janvier 2017. C’est le premier roman de Simon Johannin.
Le libraire qui me l’a conseillé m’avait dit “je ne te dis rien, tu vas voir, il tient vraiment quelque chose ce gars-là”.
Il a bien fait alors de ne pas en parler, mais j’ai envie de dire, un peu, de ce livre peu commun. Quelques mots, simplement, pour dire la nécessité de découvrir ce jeune auteur de 23 ans.

L’été des charognes c’est l’histoire d’une enfance, et de sa fin.
À “La fourrière”, un hameau paumé dans une  campagne du sud de la France tout sauf bucolique, les hommes vivent pauvres, au milieu des bêtes, chiens, porcs, brebis et mouches qui envahissent les maisons l’été.
Les puanteurs humaines et animales, qui sont un peu les mêmes au final, se mélangent. Les enfants comme les chiens, se prennent des trempes quand ils désobéissent ou font les cons.
On picole trop quand c’est la fête, le reste du temps on travaille.

Ruralité clichée ? Misérabilisme bouseux ? Ce serait passer à côté.
L’auteur est fils d’apiculteurs, on l’imagine parler de ce qu’il connait mais qu’importe, il dépeint ici mieux qu’ailleurs une innocence qui n’est pas synonyme de pureté angélique et d’ignorance de la vie mais d’une forme d’acceptation totale, pure, sans jugement, de tout ce qui fait les hommes et la vie.

Imaginez une bande de gamins de chez Stephen King, mais qui jetteraient des pierres à un Pennywise en sang, en se marrant. Ou encore les minots de la guerre des boutons qui joueraient au-dessus d’un tas de charognes ou tueraient un chien pour se venger de la voisine. Pas plus teignes que d’autres, non, juste des enfants adaptés à leur environnement.
D’ailleurs c’est une voix d’enfant qui porte le récit, dans une narration simple, brute mais à se chatouiller la tendresse parfois, la morale souvent et l’humanité, toujours.

Pas d’intrigue mais un contexte, pas d’histoire mais des trajectoires croisées, un récit comme des chroniques d’un monde à part, à la marge, un monde qu’on croirait disparu.
L’auteur narre des situations incroyables. Et pourtant. On a l’impression de lire une fiction documentaire quand le jeune garçon raconte les rares habitants du coin, leurs mœurs, leurs coutumes et même parfois des bribes de leur cœur.
Les festivités du 14 juillet, l’enterrement de la vieille Didi, autant de moments qui deviendraient presque réels.

Il est question de vie, beaucoup et de mort, tout le temps. L’été des charognes porte bien son nom, car des charognes, il y en a à la pelle. Au sens propre.
On voit la mort, on la sent, on pourrait presque y tremper les mains. Sa sensualité suinte littéralement du texte, mais avec une simplicité déconcertante dans les mots d’enfant.
La mort amène nourriture, argent et même jeux. Elle invite l’Histoire dans le récit et par là, toujours, les sentiments, par l’intermédiaire de Didi et son nazi, Pedra « le serbe », Cali le camé…
Certains passages soulèvent le cœur, d’autres font chavirer. Comme lorsque l’enfant parle de sa mère et du lien maladroit qui unit sa famille.

« …Alors quand elle fatigue du bruit qu’on fait et de comment on secoue les jours et la vie dans la maison comme un prunier, elle va plus loin sur son bord et nous on la regarde qui s’éloigne et on est comme des cons ».

Le récit est traversé de personnages sur lesquels on s’arrête un instant, pour un condensé de vie ou juste un regard en passant. Ce sont des gens du coin ou des hommes de passage, « les gueux » qui passent par le hameau, fuyant la came, la police, une vendetta ou tout ce qui peut amener à travailler pour rien dans un bled de misère.

« Il en avait mal au cœur de marcher mais il savait plus faire que ça pour pas devenir trop fou. À table il restait jamais trop, il ressortait prendre sa brouette et toucher les pierres le plus vite possible. Il les prenait dans ses grosses mains ces pierres de terre noire et il les jetait sur d’énormes tas gris qui poussaient derrière lui [. ..] Il se déblayait la tristesse avec ses grosses mains calleuses. »

Roman sans idéalisme sur le passage de l’enfance à l’âge adulte, de la nature à la ville, du purin au risque du rien. Simon Johannin a la plume humble mais magistrale. Des mots simples, une langue d’enfant si juste qu’on en oublierait l’auteur.
Les deux premiers tiers du livre se concentre sur l’enfance. La fin se perd, comme son personnage,  est peut-être oubliable tant l’on est marqué par “l’avant”, par la voix de l’enfant et son regard sur son monde.

L’été des charognes  est de ces bouquins dont la lecture griffe, tord, cogne. Rien de méchant, rien de mal intentionné une des nombreuses qualités de ce texte.
Avec L’été des charognes Simon Johannin tient en effet quelque chose. Trois fois rien, juste la tête, le cœur et les tripes du lecteur, d’une main rugueuse, mais avec douceur.
Chez vos libraires.

Crédit photo non trouvé. Nous nous tenons à la disposition de son auteur pour toute demande.

Simon Johannin
Éditions Allia 2017
140 pages
Héloïse

 

À propos Héloïse

Chroniqueuse

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