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Socorro Acioli – Sainte Caboche

C’est avec une émotion digne de l’annonce d’un Noël bonus en plein prémisse printanière que j’ai appris l’annonce de deux nouveaux romans aux Éditions Belleville, projet lancé il y a presque un an par Marie et Dorothy, deux passionnées de littérature et de voyage ! J’avais découvert cette nouvelle approche littéraire de livre connecté à travers La coiffure de la mariée, premier opus dégotté par les deux éditrices au cours d’un de leurs voyages en Turquie.
Cette fois, c’est le Brésil qui est mis à l’honneur avec Sainte Caboche, roman aux allures de conte moderne signé par Socorro Acioli, protégée de Gabriel Garcia Marquez (Milles ans de solitude).

Vol direct pour les contrées du Nordeste brésilien, sur les pas de Samuel qui erre, la peau sur les os et l’esprit plein de larmes et de haine. Samuel, qui regarde son ventre pour voir si celui-ci ne se colle pas à ses côtes, comme dans l’histoire que Mariinha sa mère lui contait de son vivant, il n’y a pas si longtemps de cela. Il marche, marche, marche inlassablement en direction de Candeia, croise des statues de Saint, des fidèles en pèlerinages et tout cela ne fait qu’accentuer son mépris et sa peine.

Il faut dire qu’il a grandi auprès de Mariinha, mère aimante, douce et au cœur immense, qui malgré sa foi et toute sa gentillesse a fini dévorée par la syphilis que le père de Samuel lui a léguée comme seule promesse de mariage.

Comme toutes les femmes de sa famille, elle a vu l’heure de sa mort et a ainsi pu lui confier ses dernières volontés : la première sera d’allumer trois cierges pour le salut de son âme ; un au sanctuaire du padre Cicero, le deuxième à la statue de Saint François de Canindé et le dernier à Saint Antoine, en veillant bien à ce que les bougies soient posées à leurs pieds. La seconde, la plus dure, est d’aller rencontrer sa grand-mère et son père à Candeia et de leur donner son rosaire de la Mère de Dieu.

Malgré son aversion à exécuter ces engagements tournants autour d’une religion qui n’aura pas épargné à sa mère pieuse et adorable le coût d’une existence difficile et injuste, Samuel se met en chemin en se fixant lui-même un but ; celui de tuer son père Manoel qui a contaminé sa mère et s’est enfui sans jamais revenir.

«Samuel regarda trembler la flamme, la vit tenter de devenir feu, voilà qui était beau. Il se souvint de sa mère, de la maigre main de sa mère couverte de peau flasque et sèche, sa main tremblante qui allumait des cierges avec le peu de force de son autre main. Ces mains qui avaient passé tant d’années à tresser des chapeaux, aujourd’hui mortes et enterrées. Les mains de sa mère.»

Après 16 jours de marche il arrive enfin à Candeia et là, surpris, il découvre une ville quasi-fantôme ! La plupart des maisons sont murées, les commerces et leurs enseignes «Salon de coiffure Saint Antoine», «Restaurant Saint Antoine», «Snack Saint Antoine» tombent en ruine, envahis par la mauvaise herbe. Candeia tient à peu de choses, et même à rien du tout.

Rapidement, il trouve la maison de grand-mère, imposante ruine de ce qui devait être avant une bien riche demeure. Dona Niceia ouvre sa porte, le reconnaît mais ne lui offre ni le gît ni le couvert, malgré l’état pitoyable de ce petit-fils qu’elle voit pour la première fois. Elle lui indique juste un endroit mystérieux où dormir, en pleine forêt tout près d’un goyavier puis ferme sa porte.

«Aucun bruit ne sortait de la maison. Pendant toute la conversation, Samuel était resté le ventre collé au portail en fer, tandis que la femme à la chevelure hirsute lui parlait de l’autre côté. Rien à voir avec la description de la vieille Niceia par Mariinha. Ce n’était pas du tout comme ça qu’il avait imaginé sa première rencontre avec sa grand-mère.
Elle avait appelé la pluie, lui avait demandé de tomber. Un instant avant, le ciel était dégagé, sans un nuage au bord des larmes. Et voilà que tous pleuraient en même temps.»

N’ayant pas d’abris pour passer la nuit et se protéger de l’averse, le jeune homme se dirige donc vers l’endroit que son étrange et peu affable grand-mère lui a indiqué. Entre temps, il se fait attaquer par des chiens, mordre méchamment la jambe et arrive encore en plus piteux état au lieu en question. Ce lieu incongru, qui n’est autre qu’une tête immense en ciment, avec des yeux exorbités, une large bouche et une cavité si grande qu’il peut s’y tenir debout sans problème. De plus en plus sceptique et meurtri aussi bien physiquement qu’au plus profond de son âme, Samuel décide d’y passer la nuit.

Rapidement, Samuel évalue le potentiel de ce don mystérieux. Aidé par Francisco, un gamin qui avait l’habitude de regarder des revues pornographiques dans la sainte tête, il monte très vite un véritable business autour du Saint déchu et de son porte-parole sorti de nulle part.
Les prédictions de Samuel leur permettent en effet de jouer les entremetteurs et de réaliser ainsi des miracles un peu aidés et voilà que très vite, toutes les filles célibataires du village déserté accourent pour que leurs prières soient exaucées. Monnayant ses visions, des statuettes à l’effigie de Saint Antoine, des amulettes, cierges et autres grigris, il redonne un nouveau souffle à Candeia la dépossédée. Les gens arrivent de tout le pays et s’installent dans les maisons auparavant abandonnées, relancent les commerces, un cinéma s’implante même dans le centre-ville… Bref, Samuel voit sa vie prendre une nouvelle direction : entouré et même apprécié, il est bien loin du pauvre hère claudiquant arrivé quelques mois auparavant, et pourtant sa peine reste toujours aussi palpable. À celle-ci s’est de surcroît ajoutée une nouvelle obsession ; celle de retrouver à qui appartient la voix qui chante à cinq heures du matin et du soir, cette voix dont Samuel est tombé éperdument amoureux.

«Ils amélioraient leurs plans, prévoyaient de gagner de l’argent en exploitant la négligence de ce saint qui avait oublié d’éteindre la radio de sa pensée. Les deux compagnons allaient secouer la ville de Candeia. Et ils riaient ensemble, de leurs malheurs comme de ceux des autres, car le malheur est une chose dont on se doit de rire.»


«Francisco arriva tôt au poste médical et prit la première place dans la queue. Madeinusa tarda, huit personnes entrèrent à la suite de Francisco et elle se retrouva au bout de la file, visiblement angoissée. Madeinusa était belle, elle l’avait toujours été. Son père disait qu’une chose aussi belle ne pouvait être qu’importée, tout comme le poste de radio qu’il avait acheté, et sur le carton duquel était écrit “Made in USA”.
-Le nom de ma fille vient de l’étranger, j’ai juste attaché les lettres.»

Petit à petit, on apprend comment ce village en est arrivé à ce seuil de pauvreté : la catastrophe qui a mené à sa décadence était due à un mauvais jugement autour de la sculpture gigantesque de Saint Antoine, qui aurait du attirer des centaines de fidèles et faire fleurir le commerce. Mais voilà que la tête de celui-ci est restée à terre, trop lourde pour être hissée sur les épaules sacrées, jetant la honte et le malheur sur Candeia. Samuel découvre aussi la mauvaise gestion de la ville par un maire véreux et malhonnête qui attend que celle-ci se consume à petit feu, et bien d’autres secrets encore qui expliqueront beaucoup de choses sur son passé et qui le guideront dans son avenir.

Socorro Acioli possède une prose chantante, ponctuée d’humour et d’une franchise sans détour. Entre réalité et imaginaire, Sainte Caboche possède à la fois les caractéristiques d’un roman aux allures de critiques sociétales et celles d’un conte moderne. À travers son personnage principal, elle explore l’impact très important de la religion au cœur du Brésil, où les grigris et les amulettes prennent parfois des airs de superstitions venues d’un autre temps.

Le fait que cet ouvrage soit connecté permet d’aller encore plus loin dans la lecture, et grâce au Qcode et aux balises ponctuant le texte, on peut y découvrir des photos, des sons, des faits historiques, bref une ambiance encore plus profonde autour de ce livre dépaysant.
J’ai également eu un gros coup de cœur pour le travail des illustrateurs Fernando Chamarelli et Alexis Snell qui ont réalisé respectivement la couverture et l’intérieur de Sainte Caboche. Alors que l’un est spécialisé dans le digital-art, la peinture et les teintes chatoyantes, l’autre penche plus pour les techniques traditionnelles de sérigraphie et de gravure. Cette dualité entre couleurs éclatantes et noir et blanc plus épuré appuie encore plus le contraste présent dans le roman de Socorro Acioli, avec son personnage principal qui a grandi dans un environnement très pieux et qui se joue de la religion, la ville de Candeia à la fois exploitée et pleine de malice, la frontière ténue entre la réalité et la magie.

On sent une réelle tendresse et une vraie humanité qui se dégagent de l’écriture de Socorro Acioli : son roman se lit d’une traite et avec délice. Avec la brièveté de sa syntaxe, aux côtés de Samuel et à travers son passé et son aventure, on découvre un Brésil ancré dans ses traditions, vivant au rythme du soleil, dans une ambiance oscillant entre chaleur, convivialité et haine et jugement.

Encore une fois, les Editions Belleville ont fait fort : ce roman est vibrant, simple et humain. Socorro Acioli n’est pas la protégée du grand Gabriel Garcia Marquez pour rien : derrière une écriture légère se sent une belle philosophie de vie et de pensée. Présenté comme «roman réaliste magique», Sainte Caboche est à lire pour découvrir à la fois une auteure de talent et une maison d’édition formidable.

« — Histoires d’autrefois, c’est celles qui se sont passées il y a très longtemps ?
Oui, mon garçon.
Donc autrefois est une époque, grand-mère ?
Autrefois est un endroit.
Un endroit très lointain ?
Un endroit très intérieur. »
Ondjaki

Belleville Éditions
227 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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Un commentaire

  1. Relisez l’article qui sans doute dans le feu de la passion, a été mis en ligne trop vite ! Pas mal de coquilles…

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