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The Picture of Dorian Gray – Oscar Wilde

The Picture of Dorian Gray (Le Portrait de Dorian Gray et votre humble narratrice utilisera Dorian Gray par la suite) est un roman écrit par Oscar Wilde et publié en 1891. (Enfin, publié en forme de livre en 1891, mais il a d’abord été publié par épisodes dans le Lippincott’s Monthly Magazine)

Ce roman, très ironiquement, a été utilisé comme preuve lors du procès d’Oscar Wilde pour homosexualité. Pourquoi ironiquement ? Parce que, dans sa préface, et même tout au long du roman, Oscar Wilde répète que l’Art n’a rien à voir avec la Réalité.

The Picture of Dorian Gray raconte l’étonnante histoire d’un jeune homme qui échange sa place avec celle de son portrait dans le but d’obtenir une jeunesse éternelle pendant que son portrait subit les marques de l’âge.

Mais avant de se plonger dans l’oeuvre, commençons par fournir votre kit de survie :

  • lisez la préface de l’auteur. Vous pouvez y trouver les thèmes principaux expliqués. Il est très facile de se perdre dans les épigrammes des personnages. Quoiqu’il arrive, rappelez-vous qu’il y a une différence entre le point de vue, le narrateur et l’auteur. Ce qu’un personnage pense n’est pas à prendre au pied de la lettre même si sa réplique est drôle et plaisante. Ne faîtes pas comme Dorian et ne vous laissez pas influencer. Lisez la préface de l’auteur, vous pouvez même la garder à côté de vous le long de votre lecture pour ne pas vous laisser tromper par les apparences. Ce serait le comble.
  • ce que vous trouverez dans la préface est une sorte de manifeste de l’art pour l’art, ce que les français associent au mouvement du Parnasse. Ils refusaient d’attribuer un but à l’art autre que celui d’être beau. A l’époque, avec la montée du roman bourgeois avec ses morales et l’art utilitaire, ce mouvement était tout à fait révolutionnaire. A la tête du mouvement du Parnasse on retrouve Théophile Gautier qu’Oscar Wilde admirait et dont on retrouve de nombreuses influences dans toute l’oeuvre de l’auteur irlandais. Pendant votre lecture, vous allez probablement être tentés d’attribuer une morale à l’oeuvre, si vous le faîtes, votre humble narratrice risque de sortir de chez elle pour vous réciter la préface de l’auteur encore et encore.
  • le concept de theatrum mundi pourra également vous être utile. Le theatrum mundi est une expression latine qui veut dire “le grand théâtre du monde” en français. Cette phrase traduit le concept d’un monde qui serait en réalité une pièce de théâtre. Le monde est notre scène et nous sommes les acteurs. Vous connaissez certainement la citation de Shakespeare : “Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs…” (Comme il vous plaira, acte II, scène 7) Oscar Wilde a repris cette phrase pour en faire : “Le monde entier est un théâtre mais les rôles sont mal distribués.” Dans Dorian Gray le thème du theatrum mundi est évoqué à plusieurs reprises, pour décrire l’hypocrisie de la société de Dorian fréquente, mais aussi et surtout pour décrire l’étrange relation de Dorian avec la jeune actrice Sybil. Le concept du theatrum mundi, tel qu’il est présenté dans le roman d’Oscar Wilde, montre la complexité de la relation entre l’Art et la Vie et révèle les dangers de confondre les deux (comme on vous avait prévenu dans la préface)
  • si votre humble narratrice ne vous a pas encore parlé de la physiognomonie, elle va s’empresser de réparer cette erreur : la physiognomonie est la méthode qui permet de juger le caractère des gens selon leur visage et leur apparence physique en générale. A l’époque victorienne, c’était une science tout à fait respectée, autant par les médecins que par les membres de la société. La nouvelle d’Oscar Wilde, “Le Crime de Lord Arthur Savile”, évoquait déjà la physiognomonie, mais Dorian Gray se base sur cette méthode. Il serait en effet tentant de penser qu’Oscar Wilde cherche à montrer les limites de la physiognomonie, vu que Dorian Gray trompe son entourage en gardant le même visage à travers les années et les pêchés. Or, le roman n’essaye pas de critiquer la physiognomonie, au contraire : le portrait se transforme pour montrer la monstruosité qui devrait se trouver sur le visage de Dorian. La physiognomonie existe dans le roman d’Oscar Wilde, mais elle est masquée par l’horrible transformation de Dorian. Le seul détail qui diffère avec le concept de la physiognomonie que vous pourrez trouver dans des oeuvres telles que celles de Cesare Lombroso (un scientifique du XIXième siècle) est le fait que ce sont les traits qui définissent le caractère. Dans Dorian Gray, c’est le caractère qui transforme les traits du visage. Vous n’êtes pas né avec le visage d’un intellectuel prétentieux, mais quand vous le devenez, vos traits changent et accommodent votre passion pour montrer à tous vos proches que oui, vous avez lu plein de livres, oui, vous pouvez en parler pendant des heures…

Votre humble narratrice s’est probablement laissée aller pour votre kit de survie. Si elle peut cependant se permettre, elle vous conseillera quelques romans qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lus avant de lire Dorian Gray mais qui sont fortement recommandés :

  • Oscar Wilde parle de son admiration pour la novella de R.L. Stevenson, Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde, à plusieurs reprises dans sa correspondance et il en a même écrit un pastiche dans son ouvrage The Decay of Lying. Vous pouvez trouver de très, très nombreuses références à Stevenson dans le texte de Dorian Gray. L’idée elle-même : un homme qui réussit à se séparer de lui-même pour garder une façade respectable quand bien même il se livre à tous ses pêchés les plus dépravés, vient de Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde. Il s’agit d’une réflexion sur la novella.
  • Au cours du roman, Dorian est fasciné par un mystérieux roman dont on ne connait ni le titre ni l’intrigue. On sait uniquement que le roman a une couverture jaune. Ce qui est amusant vu que la toute première édition de Dracula avait également une couverture jaune. Cependant, il est fort peu probable que le mystérieux roman soit Dracula (qui n’était pas encore publié à l’époque) Plusieurs indices laissent à penser qu’il s’agit en réalité d’A Rebours de Huysmans. Votre humble narratrice sait que cette chronique est faite pour recommander un livre, mais elle ne peut que vous assurer que vous n’avez jamais rien lu comme A Rebours. Ce roman est juste… purement magnifique. C’est une expérience comme vous allez rarement avoir la chance de vivre. Oscar Wilde était également fasciné par ce roman et le chapitre XI de Dorian Gray est une ré-écriture d’A Rebours. Sous l’abondance de références obscures, vous allez avoir l’impression d’être assis à un banquet avec les yeux bandés. Le lecteur est hypnotisé par ces fresques étranges qui se suivent, formant un tableau à la fois terrifiant et fascinant.

Mais passons au roman en lui-même. Comme nous l’avons déjà résumé, The Picture of Dorian Gray rapporte l’histoire d’un jeune homme qui passe un pacte digne de Faust avec le portrait que le peintre Basil Hallward a peint de lui.

Le roman s’ouvre sur une discussion entre Basil et Lord Henry à propos du jeune Dorian qui n’apparait qu’au chapitre suivant, fidèle à la tradition de la scène d’exposition. Basil parle du portrait qu’il est sur le point d’achever et pose les premiers éléments de la réflexion sur la relation entre l’Art et la Vie. En effet, Basil affirme que le portrait de Dorian qu’il peint est plus un portrait du peintre qu’un portrait du modèle. Ce qui nous ramène, notamment, au portrait que Virginia Woolf peint de Jacob dans Jacob’s Room et nous pousse à nous demander si Basil ne peint pas plus ce qu’il pense être Dorian que ce que Dorian est vraiment. Mais le lecteur a à peine le temps de voir Dorian tel que Basil le voit. En effet, Lord Henry, fasciné par le double portrait de Dorian que Basil lui présente : celui qu’il lui décrit à haute voix et celui qu’il peint, opère une autre transformation.

Il est facile de penser que la transformation de Dorian est celle qu’il lui permet de garder le beau visage du tableau, mais en réalité, la première transformation de Dorian se passe avant son pacte avec le tableau. En effet, lorsque Lord Henry rencontre Dorian, c’est lui qui lui insuffle l’envie de garder sa jeunesse et sa beauté, l’envie, plus tard, de s’abandonner à des débauches, inspirées du fameux livre à la couverture jaune qu’il lui prête. Le pacte de Dorian avec le tableau est la conséquence directe de la transformation de Dorian aux mains de Lord Henry. On pourrait même dire que Dorian est le Mr Hyde de Lord Henry.

Parlons un moment de Lord Henry, justement. Lord Henry s’appelle Harry, ce qui donne Lord Harry Henry, ce que votre humble narratrice trouve très drôle. Mais plus sérieusement, Lord Henry est le Mephistophélès de Dorian et, comme Oscar Wilde est un génie, il fait en sorte que le lecteur soit également séduit par son charme. Lord Henry est cet aristocrate qui maîtrise parfaitement le trait d’esprit (ce que les anglais appellent le “wit”) et parle en paradoxe. Il est charmant et choquant et extrêmement divertissant. Il séduit Dorian comme il séduit ses hôtesses lors de dîners mondains. Il est décrit, à plusieurs occasions, comme un jongleur de mots. Dans la tradition du theatrum mundi,  il créée un spectacle de ses paradoxes et de ses épigrammes.

Face au pouvoir de séduction de Lord Harry Henry, le lecteur trouve Basil Hallward, le jeune peintre. Moins amusant, moins reluisant que Lord Henry, Basil révèle l’autre côté de Lord Henry : il prévient le lecteur dès le début, quand il contre un des épigrammes de son ami en lui disant qu’il ne pense pas ce qu’il dit. Basil est cette voix qui rappelle au lecteur et à Dorian, en vain pour celui-ci, que Lord Henry n’est qu’un rôle. Ses paradoxes sont uniquement des phrases destinées à choquer et à amuser. Cependant, Dorian se laisse séduire (du latin se-ducere qui veut dire, sortir du chemin, se laisser conduire hors du chemin, ce qui décrit bien la situation) et décide de mener la vie que Lord Henry décrit comme la vie idéale. Basil, de son côté, permet au lecteur de voir que Lord Henry prêche un style de vie et y pousse Dorian sans pour autant se risquer lui-même à mener cette vie, à vivre ce qu’il prêche.

Ce que votre humble narratrice essaye de vous dire, c’est de ne pas vous laisser, vous aussi séduire par les propos de Lord Henry même si on pourrait tirer de nombreuses citations très agréables et très drôles de ses conversations.

Il est tentant de voir en Dorian Gray un roman en épigrammes, un roman fait pour mettre en scène des traits d’esprit pour lesquels Oscar Wilde est si connu. Mais Dorian Gray montre une sincérité, non pas derrière les magnifiques descriptions de cabinets florentins, mais avec ces descriptions. Interrompant Dorian qui répète les épigrammes de Lord Henry, survient la confession de Basil Hallward. Vous pensez que Mr Darcy est l’homme parfait, atteignable uniquement dans le royaume de la fiction ? Laissez votre humble narratrice vous présenter Basil Hallward qui confesse à Dorian des sentiments sans les nommer avec une sincérité et une beauté tout à fait exceptionnelles. Cette confession à peine voilée est un des passages les plus beaux du roman et si vous ne lisez Dorian Gray pour une seule raison, lisez-le pour la confession de Basil Hallward.

Dorian Gray est avant tout un portrait de la collision entre l’Art et la Vie. Les limites entre ce qui est Art et ce qui est la Vie deviennent floues, sont même subverties : le portrait de Dorian est plus un portrait de Basil, Lord Henry joue plus la comédie que Sybil ne le fait sur scène (il y a un parallèle très intéressant à montrer entre Lord Henry et Sybil) Dorian devient son portrait. Toutes les catastrophes du roman viennent du fait que les personnages confondent l’Art et la Vie. Dorian ne voit Sybil qu’à travers les rôles qu’elle joue et la rejette quand elle ose se montrer plus femme qu’actrice, la conduisant au suicide ; Lord Henry ne voit Dorian que comme un miroir de son portrait et l’influence à n’être qu’une image du tableau de Basil… Comme Oscar Wilde le dit, la Vie s’inspire plus de l’Art que l’Art ne s’inspire de la Vie. Ce qui dévoile toute l’ironie d’utiliser ce roman comme preuve pour incriminer Oscar Wilde lors de son procès.

A travers les déambulations de Dorian Gray, vous allez aussi découvrir le Londres de la fin du siècle, des dîners de la haute société à Mayfair jusqu’aux fumeries d’opium des Docks de la ville. Cette topographie de Londres que l’on peut retrouver dans Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde et, dans Confessions d’un mangeur d’opium anglais de Thomas de Quincey de façon plus onirique, vous permettra de mieux vous représenter la ville dans laquelle tant de romans se situent. Tous ces indices sur Londres viennent nourrir votre connaissance de la façon dont la ville était perçue à la fin de l’époque victorienne. C’est une ville cauchemardesque, labyrinthique, c’est une Londres monstrueuse, tortueuse, une Londres-Sphynx, une Londres aussi inconnue que les terres lointaines des distantes colonies… C’est aussi une Londres qui se donne l’apparence d’être civilisée, une Londres-mascarade qui montre des dîners pour couvrir ses pêchés, c’est une ville chatoyante, toujours en mouvement, instable, double, multiple, insaisissable. Comme votre humble narratrice a l’habitude de vous le dire : ne préférez pas la narration aux descriptions, vous allez manquer le décor, la scène qui donne son ambiance au roman.

Votre humble narratrice espère avoir réussi à vous montrer que The Picture of Dorian Gray est bien plus qu’une collection d’épigrammes comme on a tendance à voir toutes les oeuvres d’Oscar Wilde. Elle n’a bien sûr qu’égratigné la surface, comme d’habitude, mais elle vous laisse le plaisir de découvrir le suspense qu’Oscar Wilde sait si bien manier et la beauté dont il sait montrer à la fois le plaisir et l’horreur.

L’image de couverture est le tableau “Narcisse et Echo” du peintre John William Waterhouse.

dorian gray

Livre de Poche

traduction par Vladimir Volkoff

253 pages

Anne-Victoire

À propos Anne-Victoire

Chroniqueuse

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