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Alexander Moritz Frey – Mon nom est personne

Alexander Moritz Frey a été trop injustement invisibilisé. Auteur allemand du début du vingtième siècle, il fut contre le régime Nazi et partit vivre à Salzbourg en Autriche avant de redéménager en Suisse. Il finira sa vie à Zurich, obtenant la nationalité que quelques temps avant sa mort. Ses livres furent brûlés par le régime nazi et son nom n’eut plus eu le droit de cité. Ce parcours, qui n’était pas unique malheureusement, pour les artistes et auteurs de l’époque, il faudra surtout l’amour de la littérature d’éditeurs aventuriers pour nous ressortir des noms tombés dans l’oubli.

« Mon nom est personne » fut écrit bien avant la Seconde Guerre mondiale, bien avant l’exil de son auteur, et déjà par le truchement du conte satirique/philosophique, Alexander Moritz Frey s’employait à dénoncer par l’absurde l’ambiance Xénophobe de l’époque. Et il faut bien admettre, que c’est ô combien pertinent que les éditions de la Dernière Goutte sortent ce roman, magnifiquement traduit par Jean-Jacques Pollet et Pierre Giraud, avec des gravures d’Otto Nückel minimaliste donnant une ambiance particulière au texte d’Alexander Moritz Frey.

Dans une petite ville, un beau matin, un mystérieux personnage, un certain Hciebel Solneman, se présente au bourgmestre avec une proposition aussi farfelue qu’inédite dans l’histoire de la ville. Ce dernier désirant acheter le parc municipal pour en faire son habitation. Proposant une très grosse somme, Solneman émet néanmoins quelques conditions. Il fera construire un immense mur d’enceinte autour du parc, et ne veut absolument pas être dérangé. La ville acceptant l’offre, très vite le nouvel habitant intrigue, questionne, bouscule les croyances et braque la foule contre lui par son silence et son apparente désinvolture. Que fait donc ce monsieur derrière ses murs ? Quels sont ses bruits étranges ? Ou encore pourquoi cache-t-il systématiquement son visage quand il apparaît en public ? Des questions qui vont pousser les habitants à enquêter, le chercher ou encore le provoquer.

Découpé en chapitres courts, chacun représentant ainsi quasi systématiquement une péripétie autour de ce mystérieux Sloneman, l’auteur avec son roman construit son univers sous nos yeux. Par habileté narrative, il définit petit à petit la géographie du bourg, la vie de ce dernier et surtout s’amuse à appliquer une étude quasi-sociologique de la foule face à un événement singulier, et bien qu’apportant un avantage financier certains, qui pousse les habitants du bourg à des jugements hâtifs et systémiques en s’appuyant sur la certitude de l’ignorance.

Forcément, le parallèle avec des communautés ethniques et/ou de cultes différents de celui pratiqué par la majeure partie de la population est facile à comprendre. Phénomène exacerbé par notre très cher Solneman qui veut avant tout la tranquillité de lieu et d’esprit, ce qui fut la condition sine qua non lors de l’achat du parc municipal.

L’hermétisme d’une part, et le phénomène de masse de l’autre entraînent des situations souvent drôles à la limite de l’absurde afin de développer le propos de l’auteur. Petit détail ajoutant du poids au message de l’auteur, le nom de son héro, Hciebel Solneman est un anacyclique, c’est-à-dire un mot ou un groupe de mots qui conserve un sens lorsqu’on le lit de droite à gauche. Ainsi son nom complet se transformant en « namenlos lebe ich » ( que l’on peut traduire par « Je vis sans nom »). Ce dernier détail donnant encore plus de profondeur au conte burlesque et philosophique d’Alexander Moritz Frey.

Les éditions de la Dernière Goutte exhument un roman faussement léger et une œuvre littéraire indéniable. Bien que très méconnu en France, mise à part deux nouvelles en 2011 (Le curieux & Périple) dans le Visage Vert, Alexander Moritz Frey mérite que l’on découvre enfin son œuvre, et si les autres romans de l’auteur son à la hauteur de ce superbe « Mon nom est personne », alors nous avons encore quelques moments succulents de littérature à vivre dans l’univers rocambolesque de Frey. Une belle découverte !

Editions La Dernière Goutte,
Trad. Jean-Jacques Pollet et Pierre Giraud,
348 pages,
Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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