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Anita Pittoni – Journal 1944-1945

 

Les éditions de Baconnière continuent leur épopée triestine en publiant une partie du journal intime qu’écrira Anita Pittoni, entre 1944 et 1945. Ses pensées jetées sur le papier s’accordent autour de ses amitiés, sa solitude et son travail de création. On y observe notamment l’évolution de son recueil Les Saisons (Confessions téméraires), dont l’écriture s’apparente à une danse tout aussi versatile que cadencée. À demi-mot, elle confie sa relation amoureuse avec l’écrivain Giani Stuparich, qui se devine par la présence de deux couverts au lieu d’un seul, de l’empreinte d’un autre corps dans les draps… Car Anita Pittoni reste pudique et poétique jusque dans ce récit intime, et articule sa plume autour de détails souvent esthétiques, qui forment un véritable tableau sous nos yeux. 

Parfois, le fil de ses pensées est un peu ardu à suivre, mais on se coule alors dans ces bribes comme on se glisse dans un demi-sommeil. La lecture provoque alors presque un état de transe, devient douce et mélancolique. Cette condition est surement véhiculée par le format même du journal, dans lequel les idées se succèdent sans pour autant être retravaillées ou organisées. Pour autant, on y lit le talent de l’écrivaine à travers l’ambiance évanescente, où se mêlent tout à la fois son ressenti et ses réflexions. 

Je suis rentrée à la maison. Une doux tiédeur de nia m’a aussitôt étreinte. Dehors, un beau froid silencieux et cette lune inondé de lumière. Le jardin public était un enchantement dans les lumières du soir, sous l’eau de la lune. Ces derniers temps, le soir, Vénus brille comme jamais, elle est certainement plus proche de la Terre que d’habitude, tant elle paraît grande et riante, comme une physionomie familière. Les arbres nus tendent leurs branches vers le ciel et cherchent à cueillir les étoiles. Celles-ci se posent sur les branches les plus hautes et dansent tout en scintillant.

J’ai beau me connaître, jamais je ne sais présager pendant la journée de ce que je ressentirais dans la soirée, toute seule. […]
On dirait qu’après un long voyage dans le monde connu, je rentre dans une petite maison inconnue et mystérieuse, pleine de merveilles. Ces merveilles sont les étranges répercussions qu’éveillent en moi les faits et gestes de la journée, sous un tout autre aspect un tout autre jour, avec des couleurs si différentes et un dessin si nouveau que je me retrouve en train d’errer, rêveuse, à travers la petite maison. Il me semble que tous les soirs où je suis seul un ange je me prépare un nouveau reflet du monde dans le miroir de ma solitude.

Ses élucubrations poétiques sous les rayons de lune, ses interrogations solitaires en creux, les moments solaires entre ami·es… tout est  teinté de l’importance que prête Anita Pittoni à l’esthétique. Car en plus d’être une femme de lettres, elle est également styliste et prête ainsi un regard aigu aux éléments qui l’entourent. De la disposition des meubles et des objets de sa maison aux tissus et vêtements dont elle se drape, chaque détail s’assemble pour composer une toile de fond : son quotidien, sa vie. Anita Pittoni tisse les mots entre eux comme elle le fait avec la maille d’un tissu, assemble leurs couleurs pour créer un agencement aussi bien personnel qu’évocateur de son environnement, de son époque.

Ponctuées de poèmes et de fragments d’une correspondance épistolaire, ces confessions dressent aussi un pan du passé triestin, dont les échos nous parviennent en résonnance. La Seconde Guerre mondiale tonne également entre ces pages, au loin. L’autrice ne fait que rarement référence aux heures passées dans les abris, aux victimes ou aux privations. Elle semble au contraire préférer s’attarder sur les moments de bonheur simple qui viennent éclairer ces heures sombres : une discussion autour d’un verre de vin, quelques pas de danse esquissés, une étreinte maternelle.  

Je vis mal, L’Humanité vit mal. Pourtant on invente de redoutables machines de destruction. L’homme se venge-t-il de lui-même ? Se fait-il lui-même justice ? Est-ce un châtiment du Soleil ? Le fait que nous ayons réduit en cendres le feu sacré qui était en nous a-t-il apporté ce feu mécanique ? À quoi cela sert-il que quelques un d’entre nous est conservé ce feu sacré ? Une foule minuscules dans un monde de cendres, et une foule qui doute et doute et doute terriblement ne peut servir à rien.

Une préface et une postface (écrites respectivement par Simone Volpato et Cristina Benussi), ainsi que trois essais d’Anita Pittoni publiés dans LiL (une revue d’art et de mode) viennent enrichir le journal. Ielles mettent en exergue aussi bien les contextes historiques et artistiques dans lesquels ce dernier vient s’inscrire que le rapport entre l’autrice, les arts et le savoir-faire. Les différentes parties de ce livre se répondent et se complètent, comme les facettes d’un tout.
C’est cette personnalité, celle d’une femme artiste, dont les fragments nous parviennent au travers de ses confidences, vaporeuses et intenses.

Les colonnes des temples antiques
Sont brûlantes du soleil des siècles.
Je brûle de temps de siècles de soleil.

Désormais ma vie et si éternelle
Qu’elle ne peut plus m’appartenir.
Je suis libérée de ma vie même
Parce que je suis la vie désormais.

Anita Pittoni Journal 1944-1945 couverture

Éditions La Baconnière
Traduit de l’italien par Marie Périer et Valérie Barranger
192 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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