Depuis plus de dix ans, Anne Simon s’emploie à peaufiner un univers qu’elle a imaginé de toute pièce : le pays du Marylène, ses habitants et son histoire. Les personnages ont des têtes d’oiseaux, sont composés de cailloux, cloués au sol, avec la grosse tête, ou encore ont la forme de frites guerrières, aussi loyales que farouches.
Au fil de chaque tomes (4 parus à ce jour : La geste d’Aglaé, Cixtite impératrice, Boris l’enfant patate, Gousse et Gigot) on suit donc l’évolution d’une nation à travers les rapports humains et politiques de ses citoyens. Ces derniers sont d’ailleurs pour la plupart récurrents dans le travail global de l’autrice, qui a ainsi peu à peu renforcé leurs personnalités et affiné leurs intrigues. Sous un aspect au premier abord plutôt bon enfant et léger, en partie dû à l’allure décalée des personnages, leurs noms farfelus ou encore les jeux de mots qui parsèment le récit et les clins d’œils à la pop culture, cette série est au contraire une satyre délicieuse et souvent cruelle de l’humanité.
Par ailleurs, Anne Simon a également réalisé aux côtés de Corinne Maier des ouvrages sur Marx et Freud, et cet intérêt pour la philosophie se ressent très fortement à travers les contes du Marylène. Les rapports familiaux, amoureux, amicaux et surtout le rapport au pouvoir forment la trame de cette chronologie historique (pas si) fictive.Elle traite aussi du féminisme par le biais de son personnage principal Aglaé, une océanide chassée de son royaume par son père, qui va détrôner le tyrannique Von Krantz et lancer une nouvelle ère : celle de l’égalité totale entre les hommes et les femmes et de la création de Suffragette City.
Cependant, cette bataille durement gagnée peut vite mener à de nouvelles guerres et même à une nouvelle dictature… Car Aglaé est terriblement réaliste : elle possède une force et une indépendance incroyable mais est aussi sujette à l’aveuglement maternel…
La misandrie fait écho au machisme, le communisme au capitalisme, l’émancipation à l’esclavage. Le pays du Marylène renaît de ses cendres, s’épanouie pour être de nouveau dévasté… Tout cela par la force de décision d’une seule personne cristallisant le pouvoir. Car il s’agit de jeux de pouvoir, de ce pouvoir qui rend fou, où même les principes les plus ancrés sont reniés tour à tour
Concernant l’aspect graphique, Anne Simon a un trait caractéristique et unique, mêlant les types de morphologies et largement anthropomorphique. Elle crée des mises en pages dynamiques, laissant beaucoup de place au texte lorsqu’il le faut tout en réalisant des illustrations pleine page dignes de tableaux, plus contemplatives. On ressent l’attachement qu’elle a envers sa galerie de personnages, le soin qu’elle accorde à leurs évolutions respectives, leurs amplitudes.
Ainsi, l’autrice interverti des illustrations fournies semblables à de véritables œuvres d’Art, très riches en détails est en sens, à des cases plus aérées où le texte prédomine.
De ce fait, lorsque le dialogue est dense, elle lui laisse la place nécéssaire pour se développer, pour être clairement perçu, puis s’abandonne au dessin pur par intermittence : on ressent ainsi le plaisir qu’elle porte à mettre en forme son intrigue et faire évoluer ses protagonistes.
Son dessin un peu biscornu et enfantin, son trait arrondi et les allures de ses personnages rappellent tout d’abord une série de contes tout ce qu’il y a de léger. Et pourtant, ces contes du Marylène sont une véritable comédie humaine, ironique et acérée.
De plus, bien que chaque volume enrichisse le précédent et comporte des ellipses ou des références, chacun peut se lire indépendamment : un gros plus pour découvrir cet univers étendu par petites touches sans pour autant entacher à sa cohérence et à sa réflexion.
En bref, Anne Simon est une autrice géniale, encore trop peu connue, au style graphique innovant et à la narration sagace et riche.
Et n’oubliez pas, au final, tout est une histoire de frites…
Éditions Misma
Caroline