Accueil » Littérature Américaine » Carl Watson – à contre-courant rêvent les noyés

Carl Watson – à contre-courant rêvent les noyés

« Watson nous mène juste là : à cette petite bille entre la mer démontée qu’on connaît et l’éternité inconnaissable, une éternité aussi absurde que la mer qui nous en sépare »

Nick Tosche eut ces mots sur le style de Carl Watson, comprenez là, une sensibilité et une mise en abîme de l’absurdité de la grandeur de la vie par le biais de détails. Aujourd’hui, l’auteur américain revient avec un roman. Une route, des chemins, comme parabole de la vie.

Carl Watson, est un auteur New Yorkais, né dans l’Indiana, qui mit du temps à se découvrir et surtout se situer dans son monde. Baroudeur dans l’âme, il s’est construit au gré de ses rencontres et de ses expériences. En France nous l’avions découvert chez Gallimard en 1997 avec « Hôtel des actes irrévocables » premier texte où il situait son histoire dans son Indiana natal. Mais c’est grâce aux éditions Vagabonde, que les textes de Carl Watson prennent leur envol.

Tout d’abord avec l’excellent recueil de nouvelles « Sous l’empire des oiseaux » qui en quinze histoires nous fait ressentir toute la puissance narrative d’un auteur qui n’a rien à envier à ses pairs. Ça punche et ça swingue, l’auteur est rempli de cynisme et de tendresse, tout en donnant dans une lucidité autant pertinente que perturbante.

Puis son roman « Hank Stone et le cœur de craie », si son recueil lorgnait vers un Bukowski matiné de Selby Jr, dans le fond et la forme, ici nous découvrons un auteur plus expérimental, qui ose remettre en question sa narration, et qui tente de construire une histoire presque hallucinée, lorgnant vers du Beckett ( pour le repère, mais les comparaisons entre auteurs ont des limites).

Alors à quoi s’attendre avec « À contre-courant rêvent les noyés » ?

Franck et Tanya, un couple comme il en existe tant d’autre. Ils sont ensembles, mais ne sont pas sûrs de vraiment s’aimer. Ils se sont mis ensemble parce que ça collait bien entre eux, mais depuis la question ne s’est plus jamais posé. Ils vivent chichement, et voyage beaucoup, à moto. Se Déplaçant de ville en ville, vivant de petits boulots et s’enrichissant de rencontres qu’ils peuvent faire.

Point de départ d’un roman de la route, d’un roman du voyage, mais en apparence seulement. Car ici, tout n’est qu’apparence et faux semblant. Ici, Carl Watson s’attaque à une de ses nombreuses générations perdues, qui furent des générations errantes vivant dans le passé des autres et ne sachant plus où aller. Des humains n’ayant pas vécu la « beat generation », et par encore l’explosion libérale des années quatre-vingt. Franck et Tanya sont l’exemple parfait, des humains s’agitant pour vivre, en quête de sens, et finalement ne trouvant réponse nulle part.

Mais Ici Carl Watson pousse son postulat plus loin encore, empruntant au roman social, pensez Steinbeck, Sinclair, Dos Passos, pour la forme, il dresse le portrait de cette Amérique naissante. Une nation qui ne s’intéresse plus au fond et à la vérité, mais seulement à son image. Ainsi, les symboles ne portent plus de messages, mais deviennent un moyen de s’affirmer dans l’apparence, sans travailler le propos ou l’idée. Une Amérique qui en vient à son paroxysme ces dernières années, avec un Donald idiot et belliqueux à la gouvernance.

Son roman est une merveille autant par le fond que par la forme. Offrant un portrait cinglant d’une nation et d’un peuple perdu dans ses errances identitaires, ils dressent en parallèle le portrait des « petites gens » de ceux qui font tourner le pays, et de ceux qui vivent en marge de la société.

Carl Watson arrive à se renouveler et affiner son style encore une fois. « À contre-courant rêvent les noyés » est un texte fort, qui frappe par sa lucidité, et met chaos par son écriture. À noter la traduction de Thierry Marignac, qui est impeccable.

Éditons Vagabonde,
Trad. Thierry Marignac,
338 pages,

Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

Vous aimerez aussi

Robert McCammon Zephyr Alabama couverture

Robert McCammon – Zephyr, Alabama

L’imagination sans limites de Cory, glissant entre réalité et fantastique, nous happe. Autour de lui gravitent une sorcière accompagnée d’un Homme-Lune, un poisson légendaire à la gueule immense, un cowboy pro de la gâchette et une diablesse en culottes courtes. On vole accroché·es à ses ailes, nous heurtant au goût métallique et froid du deuil, nous régalons avec lui de tarte au potiron et nous inquiétons en chœur pour les nuits blanches et les eaux noires. On se rappelle, on ressent. La féérie et l'enchantement sont là.

2 Commentaires

  1. Bel article, un des meilleurs sur ce roman, et je vous remercie pour le coup de chapeau, c’est rare et très apprécié.
    Amicalement,
    TM

    • Merci beaucoup pour votre retour !
      On est loin d’être parfait, mais nous sommes indépendants et nous parlons toujours sincèrement des livres que nous aimons
      Ce texte est une perle et mérite d’être plus mis en avant !
      Ted.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Powered by keepvid themefull earn money