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Couverture de "Paleto et moi" d'Aparecida Vilaça

Aparecida Vilaça _ Paletó et moi

Paletó et moi, Souvenirs de mon père indigène est un livre de non fiction écrit par une anthropologue brésilienne, Aparecida Vilaça, et paru en français aux éditions Marchialy. Il raconte les trente ans d’étude et de partage que l’auteure-anthropologue a vécus avec plusieurs membres de la tribu amazonienne des Wari’ dont Paletó, son père adoptif.

C’est un récit très vivant et intelligent non dénué d’humour qui s’avère absolument accessible d’un point de vue du vocabulaire et de la langue. Il est également très touchant, car au-delà du récit anthropologique, Aparecida Vilaça rend hommage à Paletó et à la relation qui les liait.

Par ailleurs, le texte n’est en rien ennuyant car il est organisé à la fois chronologiquement et thématiquement ce qui permet à l’auteure de faire des focus sur certains sujets sans casser le fil de la narration. Quelques photos d’archives personnelles nous aident à mettre un visage sur les noms.

Même si nous ne sommes pas encore en mesure de comparer ce texte à d’autres du même genre, il nous a semblé évident qu’il avait de nombreux attraits. Aussi voici les raisons qui expliquent que ce livre est un récit passionnant.

La rencontre avec l’altérité

Lire à propos d’un peuple, les Wari’, dont peu de personnes (je m’avance mais je ne pense pas me tromper) connaissent l’existence est aussi excitant que nécessaire dans la mesure où ouvrir nos horizons et garder en tête la très grande diversité qui caractérise les cultures humaines et la richesse que représente la connaissance de l’autre nous semble toujours primordial. Argument certes basique mais incontournable ici.

Découvrir les lieux de vie et l’univers des Wari’, leur cosmogonie, leur vision de la vie et de la mort, leur culture culinaire, leurs rites funéraires, leur sexualité, la place qu’ils se donnent dans le monde, les relations qu’ils entretiennent entre tribus, entre membres d’une tribu et d’une famille, est une expérience extra-ordinaire. Notamment pour ceux qui apprécient être un peu bousculés et mesurer combien ce qui nous semble le plus évident dans notre mode de vie est construit.

Par ailleurs le récit des affrontements des Wari’ avec les seringueiros*, de leur rencontre avec les missionnaires chrétiens et plus largement de leur contact avec le « monde » hors de la forêt est lui aussi très intéressant, il en dit long sur eux, sur l’histoire et les enjeux de la région, sur le racisme occidental aussi.

Tout cela est d’autant plus appréciable que le récit d’Aparecida Vilaça est sans filtre, il n’y a aucun exotisme, aucun fantasme pas  même une “couleur” au texte. L’auteure se veut transparente et jamais elle ne laisse entendre qu’il existe une leçon à tirer des Wari’ et de leur mode de vie, qu’elle entendrait transmettre au lecteur. En cela, nous sommes très loin du guide spirituel que l’on offrirait à une connaissance en quête de repères identitaires.

La rencontre avec un homme

Avant tout autre chose dans ce livre, Aparecida Vilaça raconte sa rencontre avec Paletó, son père.

Cette rencontre n’est pas comme les autres. Elle ne l’est pas aux yeux de l’auteure mais pas non plus à nos yeux parce que c’est une « vraie » rencontre. Dès le début de sa cohabitation avec les Wari’ et Paleto, Aparecida Vilaça apprend leur langage. Plus que ça, elle apprend à comprendre Paletó en tant que Wari’ mais aussi et surtout en tant qu’homme. Elle cherche à voir par ses yeux, à partager ses douleurs ou ses joies, et se lie à lui par choix personnel plus que par nécessité professionnelle. Ainsi Paletó devient son père.

En effet, chez les Wari les liens familiaux ne découlent pas de la simple hérédité et revêtent d’autres significations. Ainsi par le récit de cette rencontre, Aparecida Vilaça vient particulièrement interroger notre conception de la filiation et nous offre un texte très sincère, très touchant, dénué de complaisance et plein d’une humanité sans prétention.

Aujourd’hui, j’aimerais que ce ciel qu’il espérait rejoindre existe, uniquement pour qu’il reçoive Paletó, bien habillé, avec ses chaussures à lacets. Je suis sûre qu’il y susciterait l’admiration de tous, et qui sait, peut-être Dieu lui-même, qui jamais n’apparaît à celles et ceux qui accèdent à son royaume, ferait-il une exception pour l’accueillir.

Le regard de l’anthropologue

Quand on mesure les limites de l’anthropologie en tant que science et que l’on a conscience de la grande difficulté que représente l’étude des peuples, groupes ou communautés non-occidentaux surtout si l’on ne veut pas verser dans l’ethnocentrisme ou dans le subjectivisme, ce récit était une gageure et le résultat est réussi. En effet, comment transmettre ce que l’on a pu apprendre des croyances et des us et coutumes d’un peuple sans réifier voire aliéner les individus rencontrés ?

Le choix de l’auteure de raconter plutôt que de décrire, de considérer comme non-neutre sa présence parmi les Wari’, d’assumer les limites de sa compréhension et de partager ses sentiments à leur égard est remarquable.

Grâce à ce choix et par ce choix, elle nous rappelle que le récit a ce superbe pouvoir de préserver la complexité et donc de donner à voir l'”humain” sous les couches de différences.

Conclusion

Pour faire court, ce qui rend ce récit particulier, c’est le regard absolument ouvert et bienveillant que porte Aparecida Vilaça sur les Wari’. C’est grâce à cela, que l’on se souviendra de son récit et que l’on se souviendra de Paletó qui a cru en Dieu puis n’y croyait plus et y croyait à nouveau à cause d’un tremblement de terre, qui ne comprenait pas pourquoi les blancs ne mangeaient pas les pigeons et qui riait très souvent les yeux presque toujours fermés, et de bien d’autres choses.

*Les seringueiros pratiquaient la saignée des hévéas et récoltaient le caoutchouc brut dans la forêt amazonienne.

Couverture de "Paleto et moi" d'Aparecida Vilaça paru chez MarchialyPaletó et moi

Aparecida Vilaça

Traduit du portugais par Diniz Galhos

Éditions Marchialy

280 pages

Marisol

À propos Marisol

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