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Magritte - Reconnaissance Infinie

Benoît Reiss – L’anglais volant

Ce n’est pas une rumeur. Un drôle de roman, aussi saugrenu que délicat, est paru il y a peu chez Quidam. Il s’agit de l’Anglais volant, de Benoît Reiss. Il raconte l’arrivée dans un petit village nommé Fayolle d’un personnage étrange et haut en couleur qui, visiblement, possède la capacité de voler. Quel est ce mystère de l’Anglais volant ? Un dernier livre mène l’enquête.

Récapitulons ce que l’on a appris sur le personnage.

Personne ne sait ce qu’il fait là, ce qu’il veut, comment il est arrivé ni combien de temps il compte rester. Personne ne comprend un mot de ce qu’il raconte mais pourtant tout le monde s’accorde à dire qu’il est anglais et il semble s’obstiner à tenter de communiquer. Arrivé en fanfare, avec sur son dos un sac digne de celui Mary Poppins, il s’installe au beau milieu de la place du village et entreprend de déballer ses (très nombreuses) affaires.

Personne, enfin, ne sait qui est l’anglais volant, mais tous sont d’accord pour dire qu’ils l’ont bel et bien vu se jeter dans le vide puis s’envoler depuis le plateau qui se trouve juste après la croix Saint-Just. Scène incroyable, inattendue, qui a frappé de stupéfaction l’ensemble de l’assistance. Faut-il parler de miracle ou plutôt de merveille ? S’il se dégage du livre une forte spiritualité, la rumeur dit clairement que les habitants de Fayolle sont enclins à une conception plus terre-à-terre de la religion :

 A Fayolle, on n’est guère superstitieux, il faut le dire, on n’est pas davantage croyant ; bien sûr on va à l’église le dimanche mais ce n’est pas une chose d’importance, ce n’est pas une chose qui compte vraiment, on va à l’église plutôt pour vérifier que l’église est toujours là avec le prêtre, les bancs froids et les vitraux avec Dieu dedans.

Disons donc une merveille. Pour l’instant. Une merveille qui laisse bien évidemment pantois tous les témoins de la scène et qui rassemble l’ensemble des habitants du village autour du besoin de dire ce qu’ils ont vu. De communiquer. D’échanger.

Depuis ce matin la parole circule librement, on pourrait la voir passer d’une bouche à l’autre, on se met droit d’un coup, on se met en route pour raconter ce qu’on a vu, puis quelqu’un d’autre se redresse, prend le relais à l’autre bout de la salle ou à côté ; s’ensuit un tohu-bohu de voix, on raconte à plusieurs, on rappelle l’Anglais en mots, en voix ; récits multiples, simultanés, récits assemblés par séparation.

Est-ce une rumeur ? Le choix d’un narrateur par essence indéfini, ce « on » qui se dissimule derrière tous les visages, tend évidemment à nous aiguiller sur cette voie. De même que le choix de commencer les premiers mots du roman par cette affirmation « Ce n’est pas une rumeur ». Très bien. C’est donc peut-être une rumeur. Est-ce grave ? Pas vraiment, car, dans ce cas la question reste la même : quel est cet anglais inventé par la rumeur ? Pourquoi la rumeur a-t-elle besoin de l’invoquer ?

Étrange affaire, donc, que l’arrivée de ce personnage incongru, qui provoque l’effervescence de la ville mais qui va également avoir plusieurs effets notables sur ses habitants.

Les témoignages affluent : un couple qui a logé l’anglais lors de sa première nuit, un homme qui se taisait depuis bien longtemps, une femme qui gère le café du village… De ces témoignages il ressort que l’Anglais provoque par sa présence, son attitude, ses mots incompréhensibles ou ses silences l’effet d’un baume bienfaisant sur ceux qu’ils croisent.

[…] alors qu’ils ne pensaient plus cela possible, ils ont été heureux, vraiment heureux, leur cœur le leur confirme, à boire le thé, à écouter l’Anglais, heureux comme ils ne l’avaient plus été depuis longtemps, comme s’ils étaient vivants à nouveau, à nouveau éveillés à ce sentiment vif, qui rend impatient l’instant suivant, et le plus surprenant, disent-ils, c’est qu’ils ont repris vie dans cette chambre même.

Son anonymat, son étrangeté, le mystère qui l’entoure font de lui le reflet, la matérialisation des mondes intérieurs. Au contact de l’Anglais volant (le personnage ? le livre ?), une porte s’ouvre en nous-mêmes.

[…] Ce qu’elle voyait, comme elle considérait le dos immobile, les épaules, la nuque, le quart de profil : ils étaient comme une page blanche, une page sur laquelle il était possible d’écrire, de réécrire ; ce qu’elle voyait, comme elle considérait l’immobilité de son dos, de ses épaules, de sa nuque, c’était sa propre singularité à elle, sa propre étrangeté […]

Ce sentiment d’éveil, d’harmonie, de réconciliation est-il religieux ? L’anglais est-il un nouveau messie ? Assistons-nous aux prémisses d’une nouvelle religion ? Pour nous, qui avons foi dans les mots, le personnage de l’anglais peut aussi être une allégorie de la poésie.

On voulait tout voir parce qu’on était certain de comprendre même si ce n’était pas avec des mots, même si ce n’était pas avec des formules, chacun pour soi comprenait avec son corps trempé, alourdi d’eau, chacun comprenait quelque chose de différent et chaque signification venue en chaque spectateur était la bonne. On dit : tout faisait sens […]

Car c’est bien la poésie qui permet, alors même que son propre langage paraît parfois étranger, de « faire sens ». C’est bien le langage poétique, langage de tous les possibles, de toutes les incongruités, qui provoque l’éveil de la conscience. C’est bien la poésie qui, ne cherchant pas à contenir le réel, permet de l’habiter. Et toutes les sensations étranges ressenties par les autres en présence de l’anglais, et ces deux réalités qui cohabitent dans l’esprit du fils Sandrin quand il croise sa route, ce monde qui s’ouvre dans son monde, sensation qui le dérange, mais qu’il ne peut s’empêcher de poursuivre, peuvent-elles être comprises comme matérialisation de « l’état poétique » dont parlait Valéry ?

En réalité, dit-il, c’était l’une et l’autre sensation en même temps : il était sous le couvert des arbres, dans la forêt et dans le même temps très haut dans le ciel de la nuit, immobile et en mouvement, il avait les yeux fermés et ouverts, il était dans le rêve et l’éveil.

Au bout du compte, peu importe de savoir qui a le mieux percé le mystère de l’Anglais volant. Ce que nous retenons c’est qu’il a permis d’aborder avec délicatesse, avec fantaisie et bienveillance, les questions pourtant épineuses du rapport à soi et à l’autre, de la communication et de la quête de sens.

Après notre enquête nous pouvons donc conclure une chose avec certitude : nous avons là un texte d’une très belle finesse, qui dégage à la fois une grande douceur et beaucoup d’harmonie. Un livre qui fait sourire, qui aère notre esprit et qui nous dit qu’une poésie, une étrangeté, peut rétablir l’équilibre, peut redonner du sens quand on l’a perdu en chemin. C’est finalement un livre qui fait un bien fou et ça, ce n’est pas une rumeur.

 

L'anglais volant de Benoît Reiss - Quidam éditeurQuidam éditeur

116 pages

 

 

 

 

 

 

 

Hédia

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Chroniqueuse

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