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Il n'y a pas d'arc-en-ciel au paradis Betonon Noël Ndjékéry couverture

Betonon Noël Ndjékéry – Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis

Au cœur du continent africain et enclavé entre les frontières de six pays, le Tchad dérive au fil de féroces prises de pouvoirs et d’idéologies sanglantes. Né à Moundou, Nétonon Noël Ndjékéry retrace les fresques historiques et humaines de ces terres tour à tour lacérées par le colonialisme et la traite des noirs. 

Tout commence par un étrange trio en cavale, fuyant leur quotidien écrasé par le poids de l’esclavagisme. Formée par Zeïtoun, un jeune garçon qui a assisté impuissant au massacre de ses pairs, l’eunuque et esclave Tomasta et Yasmina, la favorite d’un vieil iman lubrique, cette caravane de fortune traverse les paysages tchadiens. Ils ont comme destination la Grande Eau, bassin fertile et légendaire abritant des atolls nomades appelés kirtas. C’est sur l’un de ces archipels vagabonds qu’ils vont poser leurs corps meurtris et faire germer le rêve d’une communauté totalement indépendante et libre. 

D’année en année, l’îlot se peuple et sa sécurité est garantie grâce aux fables qui circulent à son sujet sur la terre ferme. Le bruit court qu’une « dénékandji » (une diablesse des eaux) à la peau laiteuse y règne et dévore quiconque ose accoster sur son royaume. 

Il ne voulait plus continuer à aligner sa cadence respiratoire sur des découpages horaires évoquant peu ou prou les clochettes dont ses maîtres se servaient pour le sonner. Il estimait venu le moment de retourner à une existence ordonnée par le seul rythme des saisons comme il en avait joui durant son enfance. Il allait dorénavant marcher au train de la nature avec seulement la lumière des livres pour éclairer ses pas.

C’est ainsi que l’île renommée Keyba dérive au gré des courants du lac Tchad, plongée dans l’ignorance paisible de ce qui se passe dans le reste du continent. Elle suit ses propres protocoles insulaires pendant plusieurs décennies et de temps à autre, de nouveaux arrivants viennent y trouver asile et rapportent les nouvelles de Baobabia, du pays. Ils racontent les flots infatigables du racisme et de l’extrémisme qui l’assaillent sans relâche, les guerres et les meurtres qui déciment femmes, hommes et enfants. L’Afrique noire est éventrée et déchirée, son peuple est sans cesse malmené et rabaissé. Il passe de mains en mains, avili au rythme de la traite négrière transsaharienne. 

Mais le voyage tournoyant de la kirta, qui la préservée des affres et des conflits extérieurs, n’est qu’une bien barrière face à la course du monde. Ainsi, la tranquillité de ce bout de paradis en sursis où l’utopie a pu fleurir et s’épanouir un temps est menacée par les terribles folies anthropomorphiques, celles qui endossent peau humaine pour bafouer les croyances ancestrales et tout dénaturer sur leur chemin. 

Du coup, ils furent submergés par la hantise du naufrage. Il la ressentaient d’autant plus fortement que le temps paraissait n’avoir conservé aucune emprise sur l’obscurité. Seuls les clapotis saluant l’effort discret du pagayeur, les murmures des plantes aquatiques à l’épreuve de la brise et les cris d’obscures créatures lacustres insufflaient un semblant de rythme à cette éternité d’ébène.”

Nétonon Noël Ndjékéry couvre plus d’un siècle d’Histoire entre les pages d’Il n’y a pas d’Arc-en-ciel au paradis. En parallèle des sept générations d’îliens, il dépeint la multiplicité de l’Afrique, ses mille visages se heurtant dans le flot de sa langue poétique et colorée de métaphores. De grandes figures historiques y défilent sans ambages, présentées de manière frontale par l’auteur qui en dresse les portraits avec un cynisme délicieux. Dans un style à la fois réaliste, implacable et lyrique, il met en lumière la cruauté bien concrète (et encore trop souvent laissée de côté) de la traite arabo-musulmane. Il invoque la voix des griots, les mythes et les légendes enfouies sous la mondialisation, joue et s’amuse avec les sens et les retentissements. 

En découle un roman épique et magistral, marqué par les fers du colonialisme et de l’esclavagisme, secoué par les prises d’indépendances et les révoltes. Loin de n’être que les échos de fantômes révolus, l’oppression et l’asservissement sont encore bien réels et détruisent la vie de nombreuses personnes. Nétonon Noël Ndjékéry rend hommage à ces victimes du passé et du présent, en laissant s’élever leurs paroles et leurs destins.

Une interview très riche de Nétonon Noël Ndjékéry est disponible ici.

– Chaque livre vaut la peine d’être lu. C’est l’usage qu’on fait de ce qu’on en a appris qui peut être condamnable ou non. Le couteau en lui-même n’est ni bon ni mauvais. Mais selon qu’il se fait scalpel entre les doigts du guérisseur au poignard entre les mains du tueur, il relève du bien ou du mal. Interdire un livre ou le réduire en cendre ne sert donc à rien, sinon à faire reculer la connaissance.

Helice Helas
360 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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