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Chant pour enfants morts – Patrick Brisebois

Pour respecter à merveille le souffle, le rythme et la puissance de ce Chant pour enfants morts, commençons sans introduction. Histoire d’être pris à la gorge tout de suite, comme le lecteur du livre :

« J’aime la guerre, les souffrances d’autrui, la pauvreté, le curé qui encule les garçons de la chorale. J’aime la déchéance, les gens qui n’ont pas d’avenir, les filles en fleur, en chaleur, qui vont s’éteindre dans la fleur de l’âge, carbonisées dans leurs pétales. Les filles qui ne m’aiment pas, qui m’aiment trop et qui vont payer pour. »

Voici l’histoire d’Isidore Malenfant, écrivain raté aux histoires d’amour pour le moins contrariées – si on peut appeler amour les relations qu’il entretient avec les femmes qui ont le malheur de traverser sa vie. Ou plutôt percuter sa vie, car le choc est souvent violent. Isidore Malenfant, pauvre âme errante, vaincu par tellement de cauchemars d’enfants. Après une cinquantaine de pages où on le voit échouer, trahir, puis échouer encore, voici qu’il se met à nous raconter son enfance, pour nous donner – à nous, pauvres lecteurs déjà assaillis d’uppercuts depuis la première phrase – les clés pour le comprendre. Car son enfance n’est pas tendre.

Oh non, clairement pas. Pourtant, il n’a pas tellement à se plaindre, il le dit lui-même. Ses parents l’aimaient, son père n’était pas en prison pour meurtre ou trafic ou viol et sa mère n’était pas accro à quoique ce soit. Simplement, ses parents ne s’aimaient pas. Son père allait voir ailleurs et revenait la queue entre les jambes lorsque sa conquête du moment le laissait tomber. Sa mère essayait de protéger son fils, mais était-elle suffisamment forte pour cela, persuadée qu’une espèce de malédiction s’abattait sur sa famille (sa maison, seule, semblait la proie de problèmes électriques à répétition, semblait s’emplir d’une odeur bizarre et nauséabonde sans qu’aucune source ne permette d’expliquer le phénomène). Quant à Isidore, enfant unique puisque sa sœur jumelle n’est jamais sortie de l’utérus de sa mère le jour de leur naissance, que pouvait-il faire d’autre que d’errer sans amour dans ce quartier où il ne passait rien d’important ? Tomber amoureux d’une fille qui ne se souciait pas une seule seconde de son existence, se rabattre sur la meilleure amie de la fille en question sans le moindre égard pour elle, jouer avec son meilleur ami Fante (une filiation évidente entre le souffle de Bandini et celui d’Isidore Malenfant) dans les rues désertes du quartier, jouer à se péter les dents, jouer à se faire découper par des monstres de plus en plus sombres, violents et dangereux. Jouer à découvrir des corps morts dans des étangs de boue, jouer à ressusciter le temps d’un dialogue la sœur qui n’est jamais née.

Quelle noirceur, mais quelle beauté ! Ce Chant est une collection de chapitres courts, comme autant de touches de peinture rouge sang, rouge sombre, pour former la toile la plus laide et la plus lumineuse possible. C’est une plongée dans les ténèbres de l’imagination des enfants. On pense pouvoir les préserver des monstres et de la peur en leur cachant la réalité de la vie, mais ces monstres et ces peurs existent bel et bien dans l’air que les enfants respirent, au coin des rues qu’ils arpentent, dans les rêves qu’ils font chaque nuit avant qu’ils ne se transforment en cauchemars.

Toutes les angoisses sont dans ce roman, la peur de grandir – peut-être – la peur de se frotter à l’autre, la peur de tomber amoureux, de devoir se dévoiler. La peur de décevoir – des parents, des amis, des filles. Des cauchemars prennent vie, mais sont-ils vraiment des cauchemars ? Ne serait-ce pas plutôt la réalité ?

La quatrième de couverture évoque Charles Burns, époque Black Hole. Pour une fois, ce n’est pas exagéré, ce n’est pas un effet d’annonce de la part d’un éditeur cherchant à appâter le client. On retrouve cette noirceur et cette inquiétante étrangeté, ces monstres curieux et fascinants. On retrouve ces adolescents désœuvrés, perdus dans des banlieues qui n’offrent rien. Sauf que, dans le roman de Patrick Brisebois, on a déjà trouvé la porte de sortie puisque la première partie – si on peut dire – du roman se passe à l’âge adulte. Se remet-on de ses cauchemars d’enfant ? Visiblement, pas du tout.

« Je reste planté dans le cadre de la porte, entre le couloir et la chambre. Les murs et le plafond vacillent. Gros flashs blancs au creux des yeux, dans mon cerveau. La voisine d’en haut qu’on a réveillée. La moitié de mes lunettes qui me déchire l’arête du nez. L’envie de vomir et une psychotique beurrée dans le lit de ma blonde. J’ai encore réussi à me foutre dans le pétrin. Bravo, l’écrivain. »

Alexandre

Chant pour enfants morts

Patrick Brisebois

Editions Le Quartanier

À propos Alexandre

Chroniqueur

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