Alors que nous ne nous lassons jamais de découvrir de nouveaux auteurs et autrices, que le champ des possibles littéraires et créatifs ne cessent de se modeler, puis dans un soubresaut générationnel de se remodeler pour dire ce qu’il n’est plus, définissant par la même occasion ce qu’il aurait aimé être tout en offrant un nouveau regard. Il est intéressant, de se plonger dans notre passé et parcours pour revenir sur des figures à part, visionnaires, voir uniques pour constater ces nombreuses parenthèses – enchantées – qui jalonnent la littérature et définissent un genre, un mouvement ou une époque.
Ce qui pose invariablement la question “qu’est-ce qu’un roman ?” L’objet livre, nous le définissons sans problème, un auteur, un traducteur, un éditeur, également. Mais qu’est-ce qu’un roman ? On parle de roman pour définir une narration fictionnelle, suivant un des schémas narratifs existants (comme le parcours du héros par exemple). Mais en soit est-ce suffisant pour définir le roman, et surtout si l’on décide de rompre ces codes, sortons-nous du roman ?
Avec la Fonction du Balai, sorti en 1987 aux États-Unis, puis en 2009 en France, avec la sublime traduction de Charles Recoursé, la question est posée implicitement par le titre comme par certaines parties du récit.
Nous suivons les aventures de Lenore Beadsman, fille d’un puissant chef d’entreprise locale, arrière petite fille d’une autre Lenore qui a disparu de la maison de retraite avec une vingtaine d’autres pensionnaires. Lenore Beadsmann est la petite amie d’un éditeur ( Frequent & Vigorous), légèrement névrosé et n’ayant rien publié. Elle est également standardiste pour F&V et vit chez une logeuse avec une amie et une perruche Vlad, douée de parole.
Une mise en contexte chaotique, pour un roman à la démesure folle. Car ici, et comme souvent, chez David Foster Wallace, l’histoire ne compte pas vraiment. La fonction du balai se veut comme un écho de lui-même, plongeant le lecteur dans l’absurdité la plus puissamment banale pour en extraire l’essence même du texte, à savoir le non-sens poétique de l’existence. Voilà pour ce qui est de sa forme primaire et de l’œuvre, et en soit, ça fait déjà un excellent roman.
Mais “La fonction du balai” est plus que ça. Ici l’œuvre nous questionne sans cesse sur la valeur du roman et de la fiction, sur ce qui fait l’œuvre et ce qui ne l’est pas. Nous le découvrons de bien des manières, par le biais des histoires que se lisent Lenore et son petit ami d’éditeur tout d’abord, mais aussi par les légendes qui entourent la famille de Lenore, par le standard téléphonique ou encore par Vlad, la perruche, tout est prétexte à la narration, et implicitement ces narrations nous questionnent sur ce qui est constitutif du roman et ce qui relève de l’anecdotique nous éloignant du registre de sa fonction première.
Et tout prend sens, dans cette folie tragi-comique, par la mise en opposition des absence de dialogues, par l’absence de l’arrière grand mère disparue ou encore par un des frères Beadsman interné. La fonction du balai dans sa grande geste metafictionnelle se permet d’exposer son ossature pour nous permettre d’observer son fonctionnement ( cf. le problème de ligne du standard téléphonique) renvoyant vers un second implicite, est-ce le lecteur ou l’auteur qui définit si le texte appartient à la grande famille du roman ou non ?
Bien que vertigineux par sa démesure, La fonction du balai n’a pas cette insolence d’être vernaculaire. Le texte se lit facilement, et se comprend dans sa fonction première, mais oser plonger dans l’analyse, c’est prendre la pleine mesure du génie d’un auteur qui, définitivement, était à part. La fonction du balai était son premier roman, et déjà, tout était incroyable à lire et découvrir. Une pépite à ne surtout pas rater.
Éditions J’ai Lu,
trad. Charles Recoursé,
702 pages,
Ted.