Des larmes de crocodile de Mercedes Rosende est la suite de L’autre femme traduit depuis l’espagnol (Uruguay) par Marianne Millon et publié en 2022 en France par les éditions Quidam, maison indépendante sélective qui déniche souvent des perles rares.
Bon à savoir cependant, si dans Des larmes de crocodile on retrouve les mêmes personnages que dans le roman précédent de Mercedes Rosende, les deux peuvent se lire indépendamment et cela a été notre cas.
Et quel plaisir !
Cette lecture a été synonyme d’un plaisir franc, en rien coupable, rare, et indubitablement dû au caractère fondamentalement original du texte.
Laissez-nous vous faire la liste des ingrédients :
- un suspens de bout en bout très bien maintenu
- un quiproquo loufoque et un braquage qui tourne mal
- des dialogues on ne peut plus trempés
- une sordide histoire de vengeance
- et surtout des personnages qui ne font pas dans la dentelle
Et pourtant, justement, ce roman c’est de la dentelle et en voici les raisons.
De l’action, du comique, de la surprise, rien n’est trop ardu pour Mercedes Rosende
Des larmes de crocodile est une évidente réussite d’un point de vue de la structure et de l’intrigue. Mercedes Rosende fait preuve d’une grande générosité et d’ambition car elle ne mesure pas les effets et les retournements, ce qui confère un côté spectaculaire presque burlesque à l’histoire. Rien ne paraît vraiment sérieux mais tout s’emboite tellement bien !
Et tout s’avère à la hauteur de ce synopsis atypique : Boulimique, célibataire et prête à tout pour changer sa vie solitaire et médiocre, Úrsula López accepte de s’allier avec Germán, un détenu récemment libéré mais qui s’est vu confier de force le braquage d’un transport de fonds blindé par Antinucci, un avocat véreux et bigot.
« Dieu vomit les tièdes » dixit Úrsula López
Le texte est doté d’une fraîcheur décapante qui tranche franchement dans le ton. Il y a de la verve, du mordant et les personnages ont du répondant. On a envie d’y voir un souci de franchise de la part Mercedes Rosende : celui d’incarner des personnages ordinaires et disgracieux, des antihéros pour certains, dans leur corps défectueux et dans leur psychologie tordue.
S’exprime une forme de cruauté et de crudité aussi, sans que jamais l’autrice aille jusqu’au choc ou l’obscénité. Effectivement, rien n’échappe à son narrateur, du moindre frisson à la pensée la plus banalement mauvaise ou arriviste. Mercedes Rosende a une façon de montrer le grotesque et de faire ressortir le comique des situations. On se moquerait bien de ces loosers et en même temps l’on s’y attache, notamment à ce personnage féminin toqué et badass.
La voix de son père lui conseille de faire attention en descendant l’escalier, tu es très grosse, Ursula, avec tous ces kilos les efforts ne sont pas conseillés, ton cœur peut lâcher. Arrête avec ça, maintenant, papa, je suis pressée, j’ai beaucoup de choses à faire. Regarde-toi, Ursula, tu devrais commencer un nouveau traitement pour maigrir, fais-le pour ta santé. Tais-toi, je t’ai dit, pour l’instant je ne peux pas. Et souviens-toi, je ne suis plus une gamine, papa.
Elle agite la tête d’un air las et continue de descendre avec précaution, met un pied devant l’autre, papa sait à quel moment lui parler et réduire son âme à la taille d’une lentille.
La voici qui arrive au deuxième étage, s’arrête, peut être pour se reposer ou reprendre son souffle, mais Ursula effectue un tour à 90 degrés et marche rapidement jusqu’à l’appartement le plus proche. C’est le 201, où habite un couple d’étudiants ou d’employés de banque, elle n’est pas sûre. Elle touche la porte sans faire de bruit, colle le visage contre le bois, d’abord la joue, la bouche puis prête l’oreille, semble vouloir écouter quelque chose.
Conclusion :
Avis aux amateurs et aux amatrices de sensations fortes, ce roman d’intrigue et d’action, à la fois noir et comique, est à la hauteur. L’écriture de Mercedes Rosende lui appartient, cette façon de n’épargner personne, pas même le lecteur ou la lectrice qui se reconnaît dans les tocs, excès de colère et petitesses quotidiennes des protagonistes, est géniale. Une plume uruguayenne à suivre !
Mercedes Rosende
mars 2024 / 248 pages