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Don Delillo – Bruit de fond

Tout commence avec une file de breaks, une longue file scintillante. Des breaks remplis à ras bord, d’objets, vêtements, couvertures, chaussures, bottes, papiers, livres, draps, oreillers, couvertures, tapis sacs, vélos, skis, selles, canots….C’est le mois de septembre et nous entrons dans le huitième roman de Don Delillo : Bruit de fond.

« Est-ce que c’est la mort ?

– Pas comme ça, dit-il.

– Que voulez-vous dire ?

– Pas en ces termes.

– Combien de mots faudra-t-il donc ? »

Lors de l’écriture de son roman, Don Delillo avait donné deux titres pour ce dernier. « The american book of the dead » puis « Panasonic », avant de devenir «  White Noise ». Ce roman du bruit, celui de la vie et de la mort, celui d’un modèle de société toujours plus bruyant et chaotique, une frénésie comme tension permanente qui s’inscrit autant dans la collecivité que dans notre intimité.

Nous suivons Jack, un professeur et chef de département d’études sur Hitler au College on the Hill. Nous croisons Babette sa femme, leurs enfants, issus de différents mariages, nous rencontrons un personnage singulier qui donne des cours d’allemand à Jack, un vieux couple sénile, un collègue plutôt farfelu et libidineux de Jack. Tout se beau monde vie et s’anime quotidiennement dans la petite ville de Blacksmith.

Mais vient un jour où la mécanique s’enraye, un train déraille et un gaz toxique se repend dans l’air obligeant les habitants à partir se réfugier ailleurs. Un incident qui va révéler les fêlures d’une routine, qui dans le cas de Jack, comme d’autres, sert avant tout à lutter contre les angoisses de mort. Et si la mort était un bruit de fond permanent ?

Rarement, un roman aura porté aussi bien son nom. Nous sommes là face à un texte bruyant, qui dans sa manière nous fait ressentir à chaque instant la surabondance d’informations visuelles et sonores qui enferment le protagoniste dans une sécurité illusoire. Le roman commence avec du bruit et une débauche d’informations, décliné en liste non-exhaustive d’objets hétéroclites et représentatifs de notre société contemporaine, mais se termine de la même manière, par du bruit, du mouvement, des listes. Entre nous, découvrons un chaos qui ne dit jamais son nom, mais qui vient perturber cette apparente sécurité pour interroger sur le devenir de l’individu et la fatalité qui finit toujours par nous rattraper.

Mais au-delà des listes, des bruits, de la tension sociétale permanente, lire Bruit de fond et seulement s’arrêter à la satire d’une société qui perd la tête, serait occulter la finesse d’analyse de Delillo et ce qu’il dit de notre époque en sous-texte.

Ainsi, l’auteur aborde la disparition, celle de l’individu, des repères, de l’originalité, dans ce bruit constant qui parcourt le roman, tout devient commun, banal, dupliqué, répété. L’individu devient une masse collective, la grange la plus photographiée du monde, une banale attraction photographiée des milliers de fois, les produits de consommation des visuels de rayonnage en supermarché. En creux, nous abordons cette constante disparition dévorée par l’ogre consumériste moderne.

Ce que l’incident du train met temporairement en exergue, mais qui aussi finit par échouer à révéler dans sa seconde partie par des simulations et reconstitutions rendant l’incident anecdotique et dépossédée de sa valeur catastrophique à l’échelle de l’individu comme du collectif.

Tout comme Jack, vient alors petit à petit ce questionnement, in fine, qu’est-ce que la mort si ce n’est que cette surabondance de bruit de fond ?

Alors que dire de ce “Bruit de fond”, ce huitième roman de Delillo ?
Vous en avez entendu parlé récemment, d’un côté par l’adaptation en film sorti sur Netflix et réalisé par Noah Baumbach, mais aussi de l’autre dans l’actualité et le train dans l’Ohio qui eu les mêmes conséquences qu’à Blacksmith. Nous avons beaucoup parlé de son livre pour ces deux anecdotes. Mais Don Delillo ne se résume pas à ça, et “Bruit de fond” encore moi. Il s’agit ici avec “Libra” d’un de ses romans les plus abordables qu’il ait pu écrire. Mais il s’agit aussi d’un de ses meilleurs romans tant il y a matière à se perdre dans l’analyse dès que nous cherchons à surmonter le bruit permanent. Un texte qui brille autant par le fond que par la forme tant l’écriture s’avère virtuose de la première à la dernière page, qui par sa manière d’aborder son histoire arrive à nous submerger en permanence d’informations, comme un bruit perpétuel sans pour autant nous perdre dans l’idée première de l’oeuvre, celle du réel et de son simulacre et comment cohabite l’ensemble.

Actes Sud,
Trad. Michel Courtois-Fourcy,
470 pages,
Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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