Eileen Myles est né·e en 1949 près de Boston. Poéte·sse, auteurice et universitaire, iel est aujourd’hui reconnu·e en tant qu’artiste underground. C’est aussi une figure majeure du mouvement LGBT aux Etats Unis. Couronnée par de nombreux prix, son œuvre compte aujourd’hui une dizaine de recueils de poésie publiés entre 1979 et 2015, ainsi qu’une dizaine de recueils de nouvelles, romans et essais, parus entre 1988 et 2017.
Engagé·e politiquement, Eileen Myles s’est présenté·e aux élections présidentielles de 1992 face à G. Bush et B. Clinton en se déclarant « Openly female ». Sa candidature inspirera d’ailleurs à Zoe Leonard le poème brillant et exaltant « I want a president ». Un texte féministe et revendicatif qui déclare « I want a dyke for president » (Je veux une gouine pour président).
Black Sparrow Press publie Chelsea girls pour la première fois en 1994 aux États Unis, et sa réédition en 2015 sera acclamée. En 2022, le livre est enfin traduit en français, et publié par les éditions du sous-sol. Dans une langue personnelle, qui donne au texte un air de journal intime, l’auteurice déroule un poème en prose fragmenté et addictif.
Eileen Myles évoque la lecture comme étant le « début de lui-même ». Pendant l’enfance, iel s’est créé, en écrivant, les espaces intimes dont iel manquait, et a trouvé refuge dans les livres. Pour iel, les livres sont un espace de liberté.
De fait, Chelsea Girls s’affranchit des conventions littéraires inutiles. Le livre compile des textes écrits sur une période assez longue de quatorze ans, et commencés très tôt. Ce sont des souvenirs d’enfance, ou sa vie de jeune femme lesbienne à New York dans les années 60. S’il s’agit de récits autobiographiques, Eileen Myles sait néanmoins se distancier de ce qu’iel raconte. Iel perçoit la jeune fille qu’iel était à l’époque comme un personnage littéraire. A travers cette écriture intime, trompeusement simple, iel cherche à créer un modèle féminin inédit, une nouvelle figure d’identification.
Très inspiré·e par le “cycle Doinel” de François Truffaut, Eileen Myles explique avoir conçu Chelsea Girls comme un film. Iel l’a écrit séquence par séquence, à propos de moments distincts, mais reliés entre eux par un montage astucieux. En invoquant par ailleurs la mémoire de l’enfance, iel évoque la difficulté de distinguer ce qui relève de la mémoire de ce qui fait partie de l’imaginaire. Son travail rejoint là aussi celui de Truffaut, qui mêle sa vie et celle d’Antoine Doinel sans que l’on puisse bien discerner les deux.
Remarquable par sa richesse et sa subtilité, le long poème en prose qu’est Chelsea Girls condense en réalité tout ce qui allait faire l’œuvre poétique d’Eileen Myles. Iel interroge les limites ténues entre poésie et prose, entre fiction et non-fiction. Passé par le prisme de l’écriture, tout souvenir autobiographique devient, pour Eileen Myles, une construction artistique.
Je suis une personne qui compte, peut-être même une sainte, en tout cas un individu hors du commun. A ce que j’ai entendu dire, on juge une sainte à sa personnalité, pas seulement à son œuvre. Je commence à considérer mon œuvre comme mes ombres, de moins en moins nécessaire, effectuée avec de moins en moins de soin. Je compare mon existence à celle d’un cadran solaire : je me contente de me tenir debout, lentement la notion de mouvement se dévoile à ma conscience et l’action convient aussi dans le royaume de la sainte, ce personnage qui commence sa vie sur les vitraux d’une église, dans l’atmosphère religieuse de sa propre imagination jusqu’à ce que l’histoire s’aligne avec sa nature et que le chemin devienne clair […]
L’écriture, pour l’auteurice, serait aussi un moyen de transcender des états humains fugaces. Ainsi, les sensations provoquées par les drogues, et le plaisir sexuel sont des thèmes récurrents du livre. C’est aussi un texte sur la rupture avec le passé et le fait de grandir.
Parfois comparé à tord à Just Kids, Chelsea Girls n’est en rien un récit initiatique. Patti Smith propose un texte autobiographique sur la façon dont la jeune Patricia devient une artiste célèbre. Eileen Myles, de son côté, va plus loin en faisant de son livre une performance artistique. L’écriture comme façon d’exister.
Paru le 2 septembre 2022 aux éditions du sous-sol,
dans la collection Feuilleton Fiction.
Titre original : Chelsea Girls, traduit de l’anglais (Etats Unis) par Héloïse Esquié.
Photo de couverture : portrait d’Eileen Myles par Robert Mapplethorpe.
288 pages.
AMELIE