Élodie Shanta est une autrice très productive, dont le travail s’équilibre sur plusieurs facettes toutes parfaitement maitrisées, allant de l’humour absurde et dérangeant à la mignonitude intelligente et décalée. Aujourd’hui, elle publie Résine, chez la maison d’édition La ville brûle.
Les femmes qu’on décide de brûler parce que leurs commerces marchent mieux que celui du voisin, car elles parlent aux animaux, ou portent des pantalons, ça vous dit quelque chose ? Hé oui, cette fameuse chasse aux sorcières qui a fait un nombre incroyablement élevé de victimes ! Elles étaient en effet condamnées au bûcher pour des raisons plus ou moins obscures, découlant souvent de leur simple indépendance ou connaissance des plantes…
Résine, elle, connait bien le risque qu’elle encoure s’il l’on découvre qu’elle pratique la magie. Et c’est pour cela qu’elle se fait la plus discrète possible (même son mari Claudin n’est pas au courant de son secret). Mais voilà qu’un jour, le voilà qui débarque, affolé : il faut vite qu’ils s’enfuient, car des villageois furibonds sont décidés à faire griller Résine pour sorcellerie, et à brûler leur baraque au passage. Il tombe encore plus des nus lorsque la concernée lui avoue qu’elle est bel et bien une magicienne aux puissants pouvoirs, qui a déjà connu les flammes de l’obscurantisme à plusieurs reprises par le passé (ce qui n’est pas si terrible en soi, puisque lorsqu’une sorcière brûle, elle renait de ses cendres 10 fois plus puissante qu’avant ! ) Heureusement, Claudin aime et accepte son épouse, sorcière ou pas ! Les voilà partis pour une nouvelle vie.
Le couple arrive près du petit village tranquille de Floriboule. Après avoir retapé un taudis grâce à ses formules, Résine et son époux s’installent avec Scorbul, un petit troll super sympa malgré sa tête toujours grimaçante. Maintenant que Claudin est au courant de ses capacités et l’accepte telle qu’elle est, la sorcière peut tranquillement profiter de ses pouvoirs dans son foyer. En usant de toute la discrétion possible, elle en profite également pour donner des coups de pouce à Amarante, sa nouvelle amie. Cette fois-ci, pas question de se faire de nouveau chasser, et Résine agit avec prudence.
Cependant, une apotiqueresse et son amie vivent aussi à Floriboule : il semblerait donc que notre héroïne ne soit pas la seule à connaitre la magie dans le coin…
Élodie Shanta frappe de nouveau très fort, dans cette bande dessinée mêlant humour piquant, dessins naïfs et sujets pointus. Ne vous fiez pas à l’aspect coloré et tout doux de Résine, car ici on parle de sexisme, de mécanismes d’oppressions et de lynchage. En effet, en plaçant l’histoire dans une période fantastico-médiévale chère à son cœur et qu’elle manie avec génie (voir ses (fantastiques) autres ouvrages tels que Cécil et les objets cassés ou encore Crevette), l’autrice fait écho à des problématiques historiques très ancrées, qui perdurent toujours sous d’autres formes peut-être plus insidieuses encore.
Si Résine est une sorcière, elle est avant tout une personne intelligente et pleine de courage, contrairement à d’autres personnages tout « humains », mais d’une bêtise affligeante et surtout dangereuse. Elle est tout simplement en quête d’une vie paisible, mais il se trouve qu’il y a toujours quelqu’un pour lui chercher les poux sans raison vraiment fondée, et qui est prêt à dépenser toute son énergie pour réunir les foules dans le seul but de saquer l’autre, celui ou celle qui aborde la différence la plus minime.
Heureusement que les femmes de Résine font bloc et s’entraident, dans un esprit de pure sororité, transformant ainsi cette haine en force.
Pleine de pep, cette BD possède un message fort qui met un bon coup de pied aux fesses de l’obscurantisme et du patriarcat. De plus, les personnages sont si attachants qu’on aimerait bien vivre à leurs côtés ! Pas banale et tordante, Résine est un super moment de lecture.
La ville brûle
92 pages
Caroline