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Enon – Paul Harding

Enon

Parfois le ciel vous tombe sur la tête, parfois la terre s’ouvre sous vos pieds, parfois tout tremble autour de vous, tout se fige, ralentit, et le monde vous oublie dans sa course, tandis que les pieds en plomb et le corps en coton on se sent s’effriter, se désagréger sans pouvoir, et vouloir, rien y faire.

Charlie Crosby menait une vie tranquille dans la paisible bourgade d’Enon, en Nouvelle-Angleterre, avec sa femme et sa fille. Lorsque sa fille de 13 ans, Kate, meurt renversée par une voiture en rentrant de la plage, c’est pour Charlie plus qu’un choc, un effondrement, c’est sa vie qui part en lambeau. Incapable de faire face à cette tragédie, il perd peu à peu pied. Des difficultés à prendre part à l’organisation de l’enterrement à son impuissance à accompagner sa femme dans une sorte de routine qui pourrait les maintenir dans une illusion brisée de normalité, Charlie va s’engouffrer dans sa peine et son incompréhension, laissant autour de lui tout lui échapper. Sa femme partira rapidement après la crémation, et Charlie, la main brisée par la rencontre entre sa rage et l’un des murs de la maison, sombrera dans l’alcool, les anti-douleurs et la tourmente. Il ira d’un laisser-aller d’abord pleinement compris par la communauté d’Enon jusqu’à se transformer en pauvre ère, la légende urbaine du village qui ne peut que s’enfoncer plus, errant dans les bois, les chemins et le cimetière, à la recherche de sa fille, de la source de sa douleur et de lui-même.
Sur le chemin qui le ramènera vers une vie normale, Charlie passera par tous les embranchements. Entrer dans des maisons la nuit pour dérober aux vieillards d’Enon leurs médicaments, retrouver le dealer du coin pour une dose. Retourner dans le passé, sur les traces de son enfance, de l’histoire de son village. C’est à travers les fantômes d’Enon que Charlie retrouve sa fille quelques instants, par ses souvenirs d’enfant, ceux qu’il a pu partager avec elle, ceux qu’il aurait voulu reproduire s’il en avait eu la chance.

« J’étais affamé de mon enfant et venait me repaître dans le cimetière, dans l’espoir qu’elle me rejoigne, à mi-chemin de nos deux mondes, ou juste au-delà, ne fût-ce qu’une nuit, ne fût-ce que pour un instant – qu’elle se dresse de nouveau, debout sur ses pieds nus, et foule l’herbe humide ou les feuilles mortes ou la terre enneigée de l’Enon vivant afin que nous puissions échanger elle et moi ne fût-ce qu’un seul, un dernier mot humain. »

Entre ses tentatives de résoudre l’équation du deuil et des visions digne d’une nuit de Walpurgis, Charlie ne trouve l’apaisement qu’en replaçant sa fille dans l’histoire d’Enon, auprès des autres morts depuis les premiers colons jusqu’à ceux de sa famille. C’est ainsi que doucement, il sera repris par le monde des vivants, même si jamais le froid qui s’est abattu sur lui en ce jour de juillet ne le quittera.

Après un premier roman couronné du prix Pulitzer, Les foudroyés, Paul Harding revient avec Enon, son second livre. On ne peut imaginer thème plus dur que celui du deuil d’un père pour son enfant. Mais loin de sombrer dans un pathos plombant ou de nous tirer des larmes à chaque page en nous broyant l’âme, Harding fait de ce chemin de croix un texte lumineux, fin, parfois drôle et plein d’espoir. Le désespoir de Charlie, s’il nous prend les tripes, est constamment contrebalancé par la beauté de ses souvenirs, ceux de sa fille, de sa ville et des bribes de vie qui l’atteignent de temps à autre. Ses trips sous whisky/médocs sont déclencheurs de scènes transcendantes où sa recherche d’un sens à ce qui lui arrive semble parfois trouver une issue, avant de retrouver sa maison vide et la triste réalité qui lui rappelle que la mort n’a aucun sens.
Un superbe texte, vivant et poignant.

Le cherche midi, collection Lot 49
287 pages
Marcelline

À propos Marcelline

Chroniqueuse/Co-Fondatrice

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