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Entretien avec Hugo Pernet

Quand j’ai découvert la poésie d’Hugo Pernet, j’avais l’impression de lire un poète à part, hors de tous les courants poétiques actuels. Il m’a fallu admettre que seul un entretien avec lui me permettrait de saisir sa poésie. Je me suis entretenu avec lui par échanges de mails lors d’une journée entière. Puis le soir, j’ai repris le recueil Nicolas Poussin et je l’ai savouré avec une nouvelle délectation, comme on retrouve le plaisir de savourer un plat aux saveurs inconnues et dont on a trouvé par chance la recette.

Peux-tu nous raconter ce qui t‘a amené à l’écriture et au travail plastique ?

Je me suis intéressé à l’art depuis l’enfance, surtout à la peinture. J’ai vite senti que ça me parlait et comme j’habitais a la montagne, qu’il fallait que j’aille dans les villes pour étudier l’art. Pour la poésie, c’est venu un petit peu plus tard. En fait j’imagine que c’est par mon grand frère qui a commencé à s’y intéresser. J’étais assez complexé vis-à-vis de lui qui était un grand lecteur de romans. Moi ça me demandait beaucoup d’efforts. Quand j’ai découvert la poésie, j’étais au lycée en internat et j’ai commencé à acheter mes propres livres avec mon argent de poche. J’ai découvert que ce truc qui rebute beaucoup de monde était facile à lire pour moi, et je me le suis approprié.

Est-ce que ton travail plastique est indissociable de ton travail poétique ? Quelles sont les parallèles que tu peux réfléchir entre ces deux pratiques artistiques ?

Au départ je dirais que ce sont deux lignes parallèles assez éloignées. Je pense d’ailleurs que la peinture et l’écriture ne viennent pas du même endroit. Mais aujourd’hui ces deux lignes sont de plus en plus proches dans la méthode et les thématiques, on peut presque dire qu’elles se touchent. Il y a quand même des points communs notamment l’approche visuelle, le poème a une présence non-verbale, et inversement le tableau verbalise quelque chose qui est presque du signe, presque une parole.

Dans ton travail quotidien, est-ce que tu places ces deux pratiques sur le même plan ? Peut-on t’imaginer passant de la peinture à l’écriture et vice-versa ? Et pour aller plus loin, pour toi, qu’est-ce qu’apportent les deux pratiques l’une à l’autre ?

Non, la peinture est ma priorité, parce que c’est avec l’art que je gagne ma vie. La poésie est une activité souterraine qui prend beaucoup de temps à émerger. Je m’y consacre parfois quelques journées pour faire avancer les choses, mais il me faut longtemps pour prendre des décisions, choisir les textes qui forment un ensemble et les mettre en ordre. Trouver un titre est souvent une manière de préciser l’image de ce que je suis en train de faire, ce dont je n’ai pas la moindre idée au départ. Je ne pense pas que les deux pratiques s’apportent quelque chose mutuellement, plutôt qu’elles se protègent l’une de l’autre, qu’elles tiennent à leurs conventions et à leurs singularités.

Pourtant dans ta poésie, malgré ce temps que cela peut te prendre, il y a quelque chose de l’ordre d’une simplicité qui y transparaît. Ton premier recueil paru aux éditions ENd en 2011, aujourd’hui épuisé, s’appelle d’ailleurs Poésie simplifiée. Tu écris ensuite dans ABCD paru aux éditions Fissile en 2014 « J’essaie de ne pas écrire comme un poète ». Tu as l’air d’aborder l’écriture poétique à contre-courant des idées préconçues que l’on a sur elle. Peux-tu développer sur ton approche de la poésie ?

C’était une recherche de simplification plutôt que de simplicité, c’est-à-dire au sens mathématique du terme arriver à la plus petite unité de langage non-simplifiable. Ensuite dans ABCD il y a la description d’une impasse dans l’écriture soustractive, qui consistait effectivement à se déposséder du mimétisme littéraire mais aussi de celui du langage « naturel », quotidien, qui n’a pas de sens en dehors de son usage. Après, j’ai plutôt cherché à assumer une forme de mimétisme de formes poétiques connues, à « m’habiller comme tout le monde » comme dit un autre titre de mes livres. C’était l’idée du streetwear, d’un conformisme choisi pour aller contre un certain absolu qui est un attendu commun de la poésie.

streetwear Hugo PernetPeux-tu décrire ce « conformisme choisi » ? À quel poète – poétesse penses-tu quand tu parles des « formes poétiques connues » ? Dans l’ensemble de tes livres, je n’ai repéré que deux dédicaces à des poètes : à Georg Büchner et à Georges Oppen. Tu fais aussi référence à Sylvia Plath ou à Rilke mais sur un ton beaucoup plus sarcastique (et drôle).

C’est très ambivalent, je crois que je cherchais à arriver à quelque chose qui ressemble à un poème, et pas juste une unité de langage dans une séquence. Donc plutôt ce que le grand public aurait en tête quand on dit le mot « poésie » que le côté avant-garde. Pour ce qui est des dédicaces ou des références, elles ont des rôles différents. Büchner ou Oppen ont déclenché l’écriture des poèmes correspondants, pour Plath ou Rilke ce sont plutôt des références « à la Spicer ». Je m’intéresse de plus en plus à l’idée de citer des noms propres, aussi à cause de leurs qualités plastiques.

« Rilke à / Franz Xaver Kappus / : mets ton doigt / dans mon cul » ouvre Suite logique paru en 2019 aux éditions Vanloo (et réédité en 2021). Cet extrait démontre ton humour et est finalement plutôt pertinent sur le livre de Rilke qui est devenu le cliché ultime sur l’écriture poétique. On sent que ta poésie cherche à démystifier ce qui la rend élitiste aux yeux d’un certain lectorat. Est-ce que tu as l’impression de t’inscrire dans un courant de la poésie contemporaine ou au contraire à contre-courant ?

Suite logique Hugo PernetBon je ne suis pas très fier de cette ouverture, Rilke est un peu une bête noire. Quand j’ai commencé à lire de la poésie ses lettres à un jeune poète m’ont révolté. Pas tellement le texte lui-même mais la manière dont cette correspondance est présentée comme initiatique. La « courte et respectueuse » préface de Kappus se termine par « là où quelqu’un de grand, d’unique va parler, les petits doivent se taire ». C’est au-delà de la politesse. La phrase « vous faudrait-il mourir si vous étiez empêché d’écrire » me paraît toujours un argument de mauvaise foi absolue. Mais ces références n’ont rien de contemporain et c’est un peu volontaire.

Je lis beaucoup de poésie et n’aime finalement qu’assez peu de chose. Malgré quelques points communs je me suis toujours senti un petit peu isolé. Parmi les livres que j’ai préférés ces dernières années il y a ceux d’Andrea Inglese ou de Dorothée Volut, Colonne d’aveugles et Poèmes premiers par exemple. Je ne suis pas très à l’aise avec le revival d’une poésie « facile », en vers libre, un peu parlée. J’aime aussi que la poésie soit difficile. Facile, difficile. L’intérêt vient de cette alternance.

Tes derniers livres La beauté (Série Discrète, 2020) et Nicolas Poussin (Éditions Vanloo, 2021) semblent plus apaisés. Il y a moins d’errements sur l’écriture et les thématiques de la beauté et de l’amour y sont plus présentes. Y-a-t-il eu une évolution depuis 2020 dans ton rapport à l’écriture poétique ?

Il y a peut-être la découverte d’une légitimité à parler de ces sujets. La beauté est un titre à double tranchant, le quatrième de couverture est là pour le rappeler. Même chose pour l’amour. Je crois que je ne me rendais pas compteLa beauté Hugo Pernet qu’ils offraient l’image idéale de cette balance entre poésie facile et poésie difficile.

Est-ce que tu considères que rien n’est marqué dans le marbre dans ton travail ? Comment perçois-tu l’évolution de ta poésie ? J’ai l’impression que tu privilégies l’acte d’écrire à celui d’être poète.

Quand les livres sortent, je supprimerais bien encore deux ou trois passages. Mais je suis fidèle à cette idée de simplification : ce qui reste est ce que je ne peux pas réduire sans abandonner complètement l’idée d’écrire de la poésie. J’ai un peu laissé tomber le projet d’un livre qui serait complètement réussi, et tu as raison, c’est aussi parce que l’image du poète déborde partout sur ce qu’est réellement l’écriture, à savoir quelque chose de plus laborieux et ingrat qu’on voudrait le croire. L’acte d’écrire est plus important que le fait de jouer au poète, mais ça n’est pas non plus quelque chose de fondamental. C’est aussi important que le reste.

Cela me fait penser à cet extrait de La beauté « La poésie est / compliquée // La vie simple // On ne peut pas comparer / Une pelote de laine // À des cheveux sales ». Un autre extrait de ce recueil dit « ce qui se passe réellement / ne peut être le sujet du poème ». Peux-tu développer ce thème du réel dans ton écriture ?

Il y a deux réels en fait, celui qui déclenche parfois l’écriture et celui de l’écriture elle-même. Pour moi le deuxième s’oppose au premier et le détruit très rapidement. Ces deux choses ne sont pas amies.

Nicolas Poussin Hugo PernetPour terminer, je voudrais que l’on parle de ton dernier recueil Nicolas Poussin paru aux éditions Vanloo. Je le trouve très beau et j’ai l’impression que l’écriture est particulièrement travaillée dans cette simplification. Est-ce le cas et pourquoi ce titre si pictural ? (la quatrième de couverture prévient que ce n’est pas un livre sur le peintre)

Je te remercie. Il y a deux formes de simplifications dans Nicolas Poussin. Une qui va vers la description, qui est la plus classique, et une autre qui est dans la tentative de laisser vivre des séquences. Il y a donc des passages qui sont très travaillés et d’autres pas du tout ou presque pas. Les descriptions sont picturales par principe, les choses et les personnes décrites dans le poème deviennent des personnages dans un décor. Il y a une forte présence des éléments comme les nuages et le ciel, de l’électricité aussi. Ça me faisait penser aux peintures des saisons de Poussin. Et je me suis dit que ce nom sur la couverture se substituerait à la fois au titre et au nom de l’auteur d’une certaine manière.

 

L'été Nicolas Poussin Hugo Pernet
L’été Nicolas Poussin

 

On peut découvrir le travail d’Hugo Pernet sur son site internet. Les livres Je vais simplement m’habiller comme tout le monde et La beauté sont disponible aux éditions Série Discrète et les livres Suite logique et Nicolas Poussin sont disponible aux éditions Vanloo.

Photo du bandeau : © Tony Baghlali

 

 

À propos Adrien

Passionné de poésie contemporaine et attaché à l'écriture sous toutes ses formes, engagée ou novatrice.

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