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Luvan, Few of us, Dystopia

Few of us – Luvan

Ecrivaine et traductrice, mais aussi performeuse et créatrice de pièces radiophoniques, Luvan appartient à une jeune génération d’auteur.e.s de l’imaginaire français dont les textes allient souvent une portée politique à une grande inventivité littéraire. Membre du collectif Zanzibar, elle a participé aux recueils Faîtes demi-tour dès que possible, et Le Bal des actifs. Demain le travail chez La Volte, mais aussi au magnifique Adar. Retour à Yirminadingrad, chez Dystopia, aux côtés de son complice Léo Henry.

Composé de seize nouvelles, Few of us est le deuxième recueil publié par Luvan chez Dystopia, après CRU  en 2013.

Ce recueil oscille entre fantastique et anticipation, entre éléments contemporains et atmosphère post-apocalyptique. Comme chez Volodine par exemple, on trouve les échos sourds de révolutions avortées, de guerres passées mais jamais vraiment terminées (“Pierre-Feuille-Ciseaux”), mais aussi les échos de catastrophes à venir, de nouvelles maladies dont les signes avant-coureurs n’alertent que les fous qui y prêtent attention (“Nul n’est prophète”). De nombreux indices font également signe vers notre présent : l’itinéraire d’une clandestine latino-américaine dans le désert frontalier (“L’ombre”), une opération hybride de déminage et de fouilles archéologiques en Erythrée (“Mahrem”), les vestiges sordides d’un complexe olympique à Athènes (“L’ombilic”)… Autant de références à une actualité terrible et parfois insoutenable. Mais aussi, systématiquement, le souci de donner la parole aux perdant.e.s, aux orphelin.e.s des récits officiels et à cell.eux qui lui résistent. Car si le langage est bien politique, alors la résistance est aussi poétique (“Digression”).

Pendant l’occupation, Azadi ne croyait plus au soleil. Le jour avère les plaies, la sécheresse des sols en asphalte, des sables fatigués, boit le sang comme l’oiseau nécrophage. Alors, la misère humaine n’a plus rien du mystère de Pandore. Tout est dévasté. La vie nous échappe comme la tourmente rouge d’une grenade s’éparpille quand on la fend.

Or, pénétrer l’écriture de Luvan, c’est pénétrer un monde de symboles, où les mots, les noms, les métaphores et les mythologies ont plus de sens que l’Histoire humaine, devenue simple direction – une abstraction disloquée, réduite dans le recueil à trois mystérieuses indications de temps : pendant, après, plus tard.

C’est que Luvan ne s’embarrasse pas de scènes d’exposition : chaque nouvelle nous situe directement auprès des protagonistes. Contexte, lieu, temporalité, se déduisent au fil de la plume et du tissu de sens qui s’élabore à même le texte – s’y déduisent autant qu’ils s’y dissolvent, d’ailleurs, car rien n’est clairement posé ni acquis dans ce recueil. Pas même les identités des personnages (bien qu’iels soient tous nommé.e.s), qui se dérobent et se recomposent de manière toujours étonnante : un être se dédouble ; un « elle » deviendra un « il » ; deux êtres apparaîtront finalement n’en avoir été qu’un ; le « je » d’un narrateur pourra aussi bien être un « nous », etc. Pourtant, derrière les béances de la narration et les dérobades du réel, la matière des récits n’en est pas moins tenace, et l’écriture très sensitive de l’auteur nous en fait percevoir tous les contours (“Le rugueux et le lisse”).

Je ne sens plus mes membres. Je voudrais me réveiller, ouvrir la main, découvrir mes veines saillantes, bleues. Dérouler mon corps, m’imprégner d’un peu de quotidien (l’eau sur le visage, la terre rouge sous les pieds). Mais sans mes membres, je n’existe plus. Je ne suis plus rien, en hauteur et en largeur, qu’une périphérie plate.

Un monolithe.

Luvan atteint ainsi, peut-être, le plus haut degré du fantastique : celui où la langue seule est tangible, au point qu’elle prend le pas sur le réel comme seul compas du vrai. On rejoint là, au fond, une des fonctions du langage, qui de fait modèle la réalité – en ça, rappelons-le, le langage est idéologique. En ça aussi, donc, la littérature, quand elle explore de nouvelles manières de raconter des histoires, plutôt que de resservir les mêmes structures, les mêmes vieux modèles pour dire et faire les mondes, est création politique.

Few of us, Luvan,, éditions Dystopia

Few of us, Luvan.

Editions Dystopia, juin 2017.

Anne.

À propos Anne

Chroniqueuse

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Un commentaire

  1. Bonjour

    une belle plume et respectueuse que cette presentation !

    Bravo

    Cordialement

    TWA

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