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Interview éditeur: La Dernière Goutte

La création de notre webzine m’a ouvert les yeux sur tout un microcosme d’éditeurs et d’auteurs que je ne connaissais pas jusque là.
Dans ce monde obscur où le talent côtoie l’audace, où le culot est souvent un gage de qualité et le génie créatif une exigence, un éditeur brille par son catalogue, mettant en avant des auteurs aussi atypique qu’intrigant. Fort d’une collection de plus de 30 publications, la maison d’éditions La Dernière Goutte fait son bonhomme de chemin et surtout fait de plus en plus de bruit, et ce n’est pas le récent lancement de la collection « Fonds noirs » qui va me faire mentir !

1/ Qu’est-ce qui vous a décidé à sauter le pas et à créer votre maison d’édition?
2/Pourquoi avoir choisi de travailler dans ce domaine?
Début 2006, nous réfléchissions à la création d’une revue littéraire qui offrirait un espace critique à ces livres fabuleux dont presque personne ne parle, qui n’ont pas droit à des articles dans une presse dépourvue de toute curiosité et essentiellement chargée de faire la promotion d’une littérature qui ne nous intéresse pas et aurait plutôt tendance à nous détourner de la lecture (nous ne sommes sans doute pas les seuls…) Peu de temps après, nous avons assisté à la représentation d’une pièce de théâtre mise en scène par Simon Delétang et adaptée d’un livre de Pierre Mérot, Petit camp, et nous avons pris une bonne claque. Ça a été le déclic et c’est à ce moment-là qu’est née l’idée de créer une maison d’édition qui défendrait des textes aux univers forts. Après quelques mois de travail sur le projet, nous avons publié nos premiers livres en février 2008. Voilà : après avoir été nourris intellectuellement et affectivement par des livres, un jour, on passe à l’acte et on essaie de faire exister les textes qu’on aime pour qu’ils rencontrent des lecteurs (aussi nombreux que possible, évidemment).

3/ Quelle est votre politique/ligne éditoriale?
Nous aimons la littérature mordante, les textes qui déroutent, qui s’adressent à l’intelligence du lecteur sans pour autant l’ennuyer. Ce qui nous intéresse, ce sont les auteurs qui n’ont pas peur d’affronter la noirceur du monde et qui parviennent à la transformer en une œuvre littéraire étonnante, percutante. Le maître mot, c’est le plaisir. Nous sommes avant tout des lecteurs et il faut qu’un texte nous bouscule, nous nourrisse, qu’il soit brûlant, qu’on y trouve une voix et un talent pour raconter une histoire. La tiédeur, la littérature soporifique ou nombriliste, les gentilles petites histoires qu’on lit et qu’on oublie aussitôt, très peu pour nous. Il y en a suffisamment chez d’autres éditeurs et les tables des librairies en sont bien souvent recouvertes.

4/ Comment choisissez-vous les textes, les auteurs avec lesquels vous allez travailler?
Pour les auteurs français, nous recevons des manuscrits et il arrive que nous en retenions un qui nous marque vraiment et pour lequel nous nous disons qu’il faut le publier et le défendre. Pour les auteurs étrangers, il y a d’abord eu nos lectures et recherches personnelles, des auteurs dont nous connaissions le travail et qui n’étaient pas disponibles en français ou bien des découvertes faites au hasard de nos lectures. Parmi ces dernières, il y a le livre de Jakob Elias Poritzky, Mes enfers : un texte inédit en français, publié en Allemagne en 1906, victime des autodafés nazis, et qui raconte l’histoire d’un jeune juif allemand qui part à la découverte de Paris et de Berlin à la fin du 19e siècle. Ce qu’il y découvre (la misère des uns, l’opulence des autres) le révolte. C’est un livre plein d’énergie et de rage, jamais misérabiliste. Bref, le livre est tombé par hasard dans les mains d’une lectrice passionnée de littérature (Irène Meyer). Elle l’a adoré et nous a alors proposé de nous mettre en contact avec un grand auteur argentin, Gabriel Báñez. Depuis, Irène Meyer, qui est elle-même d’origine argentine et qui est devenue une amie très chère, nous conseille pour la littérature sud-américaine. Les autres textes que nous publions nous sont la plupart du temps apportés par des traducteurs qui connaissent nos goûts littéraires ou par des amis. En somme, tout est question de rencontre et c’est très bien comme ça.

5/ Comment se passe le travail avec l’auteur (et le traducteur le cas échéant) depuis la sélection de l’ouvrage jusqu’à sa sortie?
Tout dépend du livre. Pour les textes français, nous travaillons avec les auteurs en leur indiquant ce qui, selon nous, pourrait être amélioré, ce qui nécessite encore un peu d’approfondissement, de réécriture, ce qui affaiblit le propos, l’histoire, la construction. C’est un moment d’échanges. Avec les traducteurs, le travail est différent : il y a des allers et retours pour préciser certains points, en corriger d’autres. Nous avons la chance de travailler avec d’excellents traducteurs, qui font des merveilles et qui ont la même conception de la traduction que nous (c’est d’ailleurs la première chose dont nous discutons avec le traducteur quand nous le contactons) : la traduction au plus près du texte n’a que peu d’intérêt, il faut que le traducteur se sente libre et qu’il rende la puissance du texte, au besoin en prenant de la distance par rapport au texte d’origine.
Une fois le texte prêt, il peut arriver que nous fassions appel à un illustrateur pour que le texte soit accompagné de dessins. C’est notamment le cas pour Le chemin du sacrifice, de Fritz von Unruh pour lequel Vincent Vanoli a fait 18 dessins inédits ou La fosse aux ours, d’Esteban Bedoya, illustré par Sara Atka.

6/ Un coup de projecteur sur une sortie plus ou moins proche?
Pierres blessées, de Mario Capasso, qui sort le 6 novembre 2014. C’est le deuxième livre de cet auteur argentin que nous publions. Le premier, L’immeuble, est un roman complètement fou, à la fois caustique, désespéré et hilarant, et qui peut se lire à plusieurs niveaux, ce qui en fait toute la richesse. Il y a une dimension politique dans son propos qui me plaît beaucoup. Je dis souvent que Mario Capasso pourrait être le fils caché qu’auraient eu Kafka et les Monty Python, mais c’est surtout un grand auteur. On retrouve cet incroyable talent dans Pierres blessées qui est, cette fois-ci, un recueil de nouvelles très drôles, souvent étranges et toujours profondément émouvantes. J’aime beaucoup les nouvelles, un genre qui est malheureusement boudé par les lecteurs français. Il y a pourtant des nouvelles bien plus puissantes et marquantes que des romans de plusieurs centaines de pages. Dommage que les Français ne soient pas plus curieux, ils passent à côté de merveilles. Et en matière de nouvelles, Mario Capasso est un orfèvre.

7/ Quel(s) texte(s) auriez-vous voulu publier?
Plus qu’un texte, je dirais un auteur : António Lobo Antunes. Je trouve son écriture et ses histoires bouleversantes.

8/Quel(s) texte(s) êtes-vous fier d’avoir porté?
Je ne dirais pas fier, mais plutôt heureux. Je suis évidemment très heureux d’avoir publié tous les livres qui figurent à notre catalogue. Sinon, pourquoi les publier et investir autant de temps, d’énergie et d’argent ? Mais si je devais vraiment en choisir un, ce serait sans doute La Vierge d’Ensenada, de Gabriel Báñez : un roman profond, foisonnant, poétique et d’une incroyable richesse. C’est un livre tout simplement magique !

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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