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La survie de Molly Southbourne – Tade Thompson

En 2019, les éditions du Bélial ont publié dans l’excellente collection « Une heure-lumière », l’étrange et dérangeante novella Les meurtres de Molly Southbourne, dont nous avons parlé ici.
Un an après, c’est avec une grande joie que nous retrouvons l’héroïne tueuse Molly Southbourne, dans un deuxième opus,  La survie de Molly Southbourne.
Molly Southbourne est victime d’une singulière malédiction : de son sang, lorsqu’il est longtemps à l’air libre, jaillit des doubles d’elle-même, qui cherchent bien souvent à la tuer. En suivant une série de règles strictes, et un mode de vie discret et passablement violent, Molly grandit et tente de vivre une vie presque normale. Mais l’équilibre précaire qui entoure son quotidien ne peut tenir bien longtemps…

Je tiens un téléphone et regarde une maison qui brûle.
« ne quittez pas, s’il vous plaît », dit la voix à l’autre bout du fil.
Cette maison est la mienne et pourtant non, mais les choses s’éclairciront en temps voulu. Ceci n’est pas un accident ; c’est un incendie volontaire, et si on devait enquêter sur ce crime, j’en serais reconnu coupable, bien que je n’ai absolument pas décidé de mettre le feu. Je suis coupable d’avoir utilisé un produit accélérant, à savoir de l’essence, et d’avoir entassé des meubles de façon à obtenir un véritable brasier. On trouverait mes empreintes digitales sur le bidon, sur tous les meubles et mon ADN un peu partout. Une surabondance de matériel génétique, en fait. Un enquêteur attentif constaterait que la quantité de sang présente sur les lieux est trop importante pour correspondre à une seule personne. »

Dans cette suite, Tade Thompson, change assez radicalement d’ambiance. Bien qu’ayant un climat et une tension horrifique, La survie de Molly Southbourne est bien plus lent et introspectif que le premier opus.
Molly, ou une molly, ayant tout juste
échappé à l’immense incendie qui détruisit sa maison, ne veut plus se battre. Cette vie la fatigue, la menant proche de la folie ou du suicide. Suite à l’incendie, elle se sait différente et son sang ne produit d’ailleurs plus de double.
Peut-être est-ce pour elle l’occasion d’apprendre enfin à vivre… Mais sa vie passée la rattrape et la
voilà bientôt de nouveau poursuivie et en proie à d’horribles hallucinations…

Comme dans le premier volume,  La survie de Molly Southbourne  interroge le rapport au corps. Molly souffre physiquement des changements récents qui affectent sa vie. L’auteur, pour évoquer ce thème et coller au genre horrifique, fait se dérouler une partie de l’intrigue dans un hôpital psychiatrique, entre camisole chimique, drogue et démence.
Son corps et ses réflexes ayant été conditionnés depuis sa plus tendre enfance, Molly-machine tente de devenir enfin Molly-humaine, de retrouver une normalité qui lui a toujours fait défaut, or son corps ne se défait pas si facilement des habitudes d’une vie.
La question du corps est aussi amenée par un biais inattendu, celui du docteur Down.
Personnage secondaire bien qu’important du premier tome, nous le retrouvons ici dans une série de comptes-rendus d’une expérience macabre qu’il mène sur lui-même :
celle de faire grossir son corps de manière artificielle et démesurée.

Je vomis. Je n’arrête pas.
De toute évidence, mon organisme n’est pas prêt à subir les assauts de la nutrition. J’ai des nausées tout le temps maintenant, mais je dois continuer.
[cut] Et voila les diarrhées.
Je dois…pardon.
[Pr D. se hâte de sortir du champ. Bruit de fond évoquant la flatulence.] [Cut] Bon. La métoclopramide à forte dose fait l’affaire en ce qui concerne la nausée. Pour la diarrhée, il faut attendre encore, parce que je veux que la nourriture soit digérée. Mon poids a déjà augmenté de dix kilos. L’équivalent de trois petits fœtus.

Du fait de sa rencontre avec Tamara, une autre « mutante », capable elle aussi de produire des doubles, son rapport aux mollys se modifie radicalement, parachevant un processus de déconstruction déjà entamé depuis l’épisode de l’incendie. Comment contrer la violence qui émane d’elle ? Est-il possible d’aimer celles qui tentent pourtant vigoureusement de la tuer ?

La survie de Molly Southbourne clôt magistralement le diptyque « Southbourne », par un jeu subtil d’ambiance et de réflexion, de constructions/déconstructions, sur une note positive. Un peu de joie au milieu de beaucoup de violence.

Rares sont celles qui suivent mes cours d’anatomie, mais elles sont parmi les plus vives. J’apprends qu’au fil des ans, Tamara et les tamaras ont acquis une grande expertise dans quantité de domaines en distribuant leur savoir. Il y a parmi elles des infirmières, des comptables, des cuisinières, des géomètres, des artistes et une flopées de tamaras gestionnaires. Tamara est hyper organisée et prête à parer à toute éventualité. Elles ont de l’argent, elles occupent de multiples emplois un peu partout dans Londres, elles possèdent des bases et des refuges disponibles à tout moment. 

Molly SouthbourneLa survie de Molly Southbourne,
Tade Thompson,
Traduction de Jean-Daniel Brèque,
119 p, 2020

À propos Paco

Chroniqueur

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