L’effet indésirable est à la médecine ce que l’«unitended consequence » (titre original de l’œuvre) est aux sciences sociales : un résultat non souhaité, une réaction parfois néfaste directement imputable à une action (un traitement) donnée.
Avec son nouveau livre, paru en septembre aux éditions Tusitala, Larry Fondation nous propose une galerie d’instantanés de ce que la société américaine, et notamment la seconde plus grande ville des USA, peut provoquer en terme d’effets indésirables. Ce livre est le 4ème volume d’une série qui en comptera 8 et qui a déjà commencé avec 3 titres édités en français chez Fayard : Dans la dèche à Los Angeles, Criminels ordinaires et Sur les nerfs.
Chronique morcelée de récits survoltés :
Le décor : Los Angeles, « cité des anges » de nos jours. Quartiers pauvres, quartiers riches, poubelles et bars à strip-tease, rues et cinémas, voitures et appartements. Le lecteur est plongé au cœur de la cité, dans sa chaleur et sa saleté. Arpentant ses rues aux côtés des personnages, sans jamais pouvoir prendre de hauteur, il est régulièrement heurté par sa brutalité et sa frénésie.
La matière : nouvelles et histoires courtes, saynètes, instantanés pris sur le vif, récits morcelés et épars d’une époque à la dérive.
C’est impossible de représenter la simultanéité en littérature ou au cinéma, vous pouvez essayer tant que vous voulez. « Pendant ce temps-là au ranch », ça ne marche pas.
Le sujet : Les gens. Les pauvres, les moins pauvres, les immigrés, les SDF, les clochards, les prostituées, les dealers, les paumés en tout genre, peu importe leur âge, leur situation ou leur sexe. Monsieur et Madame tout le monde sont là aussi, dans ce patchwork de personnages, d’indésirables que personne d’autre ne veut voir.
Nous n’avons ni le temps, ni l’argent. Aucun d’entre nous. Il y a environ cinq ans, j’ai foutu ma vie en l’air (femme, enfants, boulot) et j’essaie de faire comme si ça n’avait aucune importance – ça et tout le reste.
Les effets indésirables : une violence exacerbée, démesurée, un cynisme prégnant, une absurdité aussi drolatique que dramatique et surtout l’ironie du sort, qui règne en maître sur les destinées.
L’écriture : acérée, efficace, nerveuse et tranchante. Dérangeante aussi. Larry Fondation propose une esthétique de la brièveté, de l’instantanéité, qui crée un foisonnement comparable à celui des grandes villes. Regardez, nous dit-il, c’est partout autour de vous.
C’est maintenant que ça se passe. Demain n’existe pas. Les avions vont et viennent. Je reste là où je suis.
Inspirés des collages, les textes s’enchaînent en créant un ensemble qui, derrière son aspect fourmillant, est pourtant minutieusement structuré. Larry Fondation expérimente dans un texte qui n’est pas un roman, mais qui n’est pas vraiment non plus un recueil de nouvelles. Il explore une nouvelle forme d’écriture, centrée sur la simultanéité, la photographie, l’immédiateté. Quelques mots à peine lui sont nécessaires. Il y a suffisamment de précision et de mystère dans chaque morceau de vie qui est présenté pour laisser le lecteur investir le texte, combler les blancs avec sa propre imagination, prolonger le texte.
Le livre se décompose en trois grandes parties. Dans la première, « Crimes et bizarreries », les situations s’enchaînent et dérapent, parfois dans une ambiance chaleureusement grotesque, comme la prise d’otage de “Se marier” où les intrus deviennent finalement les policiers, parce que le preneur d’otage, homme sympathique, est juste paumé. L’ambiance sait également se faire étrangement ridicule et glaçante comme dans “Envie de sang” ou tristement banale dans “Chapeaux”. Fondation mêle les émotions fortes : dégoût, angoisse, répulsion mais aussi rire, tendresse, ou attachement.
La seconde partie, « Vies parallèles : La téléréalité selon Plutarque », fonctionne par binômes de textes encore plus courts qui se répondent. Véritables petites bulles qui éclatent à la surface de l’imagination du lecteur, elles décrivent des moments pris sur le vif. Terriblement cynique “Foire à l’adoption”, “Le Staples Center” où la violence gratuite parfois se déchaîne “En flânant”, ces histoires mettent en scène des rencontres fortuites, des destins qui se croisent l’espace d’un instant pendant lequel la vie entière peut basculer.
La troisième partie, « Working Class Heroes », fait preuve de plus d’empathie, s’attarde un peu plus longuement les situations. Dans plusieurs textes la barrière invisible entre les classes sociales est momentanément rompue. Une rencontre véritablement humaine a lieu.
Pour preuve de la construction minutieuse de l’œuvre, s’il en fallait une, ce sont notamment les deux textes à l’ouverture et à la fermeture qui se répondent et qui évoquent aussi bien le sujet traité (L.A., les effets indésirables, etc.) que l’oeuvre en elle-même. “Le quartier”, dernier texte qui vient clôturer l’ensemble, peut se lire comme un écho à “Choses mortes”, placé en second, juste après l’ouverture de l’oeuvre. “Choses mortes” est construit comme une suite de phrases qui s’enchaînent sans logique apparente, qui se croisent, comme les pensées de ceux qui arpentent les rues. Comme ces destins morcelés. “Le quartier” avec une forme qui, semblable à “Chose mortes” tend vers la poésie, utilise des vers qui pourraient être interprétés comme un pacte de lecture :
Bouteilles cassées, bris de verre.
Je déplore ma vie décidue ; je mue comme un reptile.
Le monde d’Effets indésirables, brisé aussi bien socialement que dans sa structure littéraire, est un monde qui mue, qui se transforme (qui nous fait donc attendre le suivant avec impatience) et dont la poésie jaillit de ces brisures, car malgré – ou peut-être grâce à – ces fameux effets indésirables, on trouve de la tendresse, la beauté d’une humanité touchante, une poésie du réel, pour qui veut bien la voir.
Traduit de l’anglais par Romain Guillou
Éditions Tusitala
156 pages.
Hédia