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Laura Kasischke – Eden Springs

Des jeunes filles – peau diaphane et robes blanches – passant leurs journées à cueillir des fruits, tresser des paniers, chanter des chansons, papillonnant autour d’un homme aux traits apaisants, à la voix douce, à la barbe et aux cheveux pareils à ceux du Christ. Dévotion quotidienne à l’homme et à sa vision sublime : celle de la jeunesse éternelle, celle d’une vie libérée d’un corps voué à se flétrir et à pourrir.

Tableau idyllique et merveilleux. Pourtant, le soleil se voile quelque peu. Le corps que ce fossoyeur vient d’enterrer n’est-il pas celui d’une jeune fille de seize ans ? Pourquoi alors lui a-t-on dit que la morte en avait soixante-huit ? Comment pourrait mourir une fille de seize ans à qui on a promis la vie éternelle ?

Ceci est une histoire vraie, celle de Benjamin Purnell, prédicateur charmeur qui, au début du vingtième siècle, entraîna avec lui une procession de jeunes filles dans un coin de paradis, à Benton Harbor dans le Michigan, pour créer une communauté religieuse, La Maison de David. En d’autres termes, un gourou qui fonde une secte et profite de son statut pour s’amuser avec les charmes de jeunes filles encore adolescentes.

Au fil de ses romans, le style de Laura Kasischke se peaufine : à la surface d’un lac, elle lance un pavé et étudie les striures qui zèbrent l’eau. Elle observe la surface, mais n’oublie jamais l’insondable et terrifiante profondeur du lac. Le malsain sourd partout, prêt à remonter, tandis qu’à la surface, le calme semble réapparaître. L’art de Kasischke est précisément de ne pas nous mettre la tête sous l’eau, mais de nous préparer à la noyade.

Dans Eden Springs, les chapitres sont courts, et étouffants. Ils se suivent selon le même schéma : un extrait d’une coupure de presse de l’époque, ou bien un compte rendu d’audition, évoquant la vie de cette communauté, épaississant le mystère sur leur mode de vie et sur les jalousies cachées qui régissaient les rapports quotidiens. Puis Laura Kasischke, en quelques phrases, simples et toujours percutantes, illustre cette atmosphère pesante, cette naïveté adolescente et l’ombre du grand loup qui ricane, les obsessions des jeunes filles et les moyens mis en œuvre pour parvenir à leurs fins. Car toutes ne veulent qu’une chose : être la seule à pouvoir profiter du Roi Ben, et cesser de le partager.

De là à éliminer les plus farouches adversaires, il n’y a qu’un pas.

benjamin purnell et ses ouaillesC’est tour à tour glaçant et charmant, comme tout roman de Kasischke. Et le cahier de photos accompagnant le roman est sur la même longueur d’ondes : des cartes postales d’époque collectées par l’auteur montrent des bâtiments superbes devant lesquels apparaissent, ça et là, des visages parfois hagards, des silhouettes floues et difficiles à identifier. Comme des spectres apparaissant sur des photographies sur lesquelles ils n’étaient pas invités. Et au milieu de tout cela, triomphant, la figure du Roi Ben, contemplant son œuvre.

Ou les jeunes filles qu’il convoite.

PS : Eden Springs est le troisième livre de Laura Kasischke paru aux éditions Page à Page, dont il faut louer le travail éditorial et le soin particulier apporté à l’objet. Le roman est accompagné d’une postface éclairante signée Lola Lafon – éclairante car elle n’a de cesse d’effectuer des va et vient avec les romans précédents de Kasischke (l’occasion de se replonger dans l’oeuvre complète de la romancière – notamment Esprit d’hiver ou Rêves de garçons). Chez le même éditeur, on retrouve un recueil de poésie (Mariées rebelles – préface de Marie Desplechin) et un recueil de nouvelles (Si un inconnu vous aborde – préface de Véronique Ovaldé).

A noter également que ces trois livres sont excellemment traduits par la non moins excellente Céline Leroy.

Alexandre

couverture eden springs laura kasischke editions page à pageEden Springs

Laura Kasischke

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy

Editions Page à Page

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Chroniqueur

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