Loïc Godart- Les bêtes sauvages

Loïc Godart, auteur de bande-dessinées au style influencé par les courbes tortueuses d’Egon Shiele et les lignes piquantes de Ronald Searle, signe Les bêtes sauvages; un livre aux teintes post-apocalyptique sur l’adolescence et la société humaine.

Josh, Lola et Guillaume, aka Guizmo, trainent dans les rues et les squats lors d’un été marqué par une torpeur cachant en réalité une foule d’émotions. Les trois gamins évoluent dans un décor étrange, une ville visiblement située aux Etats-Unis où la plupart des habitations et des bâtiments sont désaffectés et où les adultes même semblent désoeuvrés.
Josh et Lola flirtent et se cherchent, repoussent les limites de leur première fois amoureuse dans une salle abandonnée, avec des gestes et des paroles hésitantes et maladroites d’adolescents quittant l’enfance pour le monde des adultes. Guizmo lui, embellit les murs décrépis de cette banlieue fatiguée à l’aide de magnifiques fresques animalières aux inspirations aztèques, se réfugiant dans son art pour échapper à la réalité. 

Le trio essuie la pression des autres enfants, a du mal à se situer entre le besoin de popularité, d’appartenance à un groupe et leur propre sensibilité. Ils ne sont pas aidé par leurs environnements familiaux propres, leurs parents respectifs n’étant pas des figures solides sur lesquelles ils peuvent s’appuyer et prendre exemple. En fait, ils prennent même conscience de la lâcheté d’un père, de la bizarrerie d’une mère ou encore du vice sans limite d’une autre. 

A cela, Loïc Godart immisce un élément perturbateur dont la symbolique va prendre de la puissance au fil du récit: celui de l’arrivée dans cette ville amorphe de bêtes sauvages. Loups, girafes, singes ou encore crocodiles surement échappés d’un zoo vont peu à peu hanter les bois environnants puis envahir les rues. Ce changement va éveiller les instincts les plus profondément enfouis des citadins qui vont alors se lancer dans des chasses sanguinaires et des battues barbares pour tromper leur ennuie en trucidant les animaux qu’ils croisent. 

L’avancée de cette horde venue d’on ne sait, sa course au début lente et tâtonnante pour se révéler finalement frénétique rejoint la période adolescente. En effet, la paisible innocence s’efface peu à peu pour laisser place à un flot d’émotions nouvelles, aussi bien violentes que colorées, comme on le constate à travers Josh, Lola et Guizmo. 

Le trait de Loïc Godart est nerveux, à vif, comme ses personnages qui grandissent comme ils le peuvent, livrés à eux-même tout en étant entourés d’adultes qui semblent avoir baissés les bras. Leurs traits sont parfois même déformés, illustrant alors la laideur de leur esprit ou encore la lutte intérieure qui se déroule sans bruit. Les corps sont aussi quelques fois difformes, ceux des enfants hésitants entre l’enfance et la séduction, la conformité étriquée ou bien encore la sauvagerie: en dehors comme en dedans des enveloppes charnelles, la vie oscille et tout est prêt à basculer.
En utilsant une palette de couleurs crépusculaires, vives, chaudes mais d’une beauté toute mélancolique, l’auteur crée une ambiance véritablement pesante, un malaise croissant au fil des pages qui va de pair avec le scénario qui s’accélère et se saccade crescendo. 

Les bêtes sauvages est une bande-dessinées sur la décadence sociale et l’au revoir à l’enfance, une sorte de conte moderne où la sauvagerie ne semble pas définir les animaux mais bel et bien les êtres humains.

Ankama
98 pages
Caroline