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Marielle Hubert, Il ne faut rien dire, POL.

Marielle Hubert, Il ne faut rien dire.

« Il ne faut rien dire », les mots de la mère seront scellés dans la tombe Ce sont les seuls qu’elle n’aura jamais prononcés, cette femme demeurée enfant dans un corps d’adulte, atteinte d’un cancer, et qui au seuil de la mort refuse toute réalité. Elle a 5 ans, 5 ans depuis tant d’années, 5 ans figés dans le temps. En a-t-elle jamais eu conscience ?

Après Ceux du noir en 2022, c’est au seuil de la mort que Marielle Hubert écrit sa mère, l’enfance, le traumatisme, l’impossibilité d’en découdre

: « Je souhaite sa mort qu’elle refuse de libérer. Elle veut vivre. Elle le dit. Elle en a le droit et je dis à qui veut l’entendre que j’ai le droit de vouloir sa mort sans méchanceté, sans « voir le mal. […] Elle nous tient en respect avec sa longévité et je nous vois, esclaves de son absurde survie. A nos dépens, son jour de plus. Soit. Je ne ressens rien. Je ne suis pas triste, je dis « j’ai hâte qu’elle meure ». Cette phrase possède un pouvoir extraordinaire sur les gens. Je vois les mines interloqués quand j’ose la prononcer ».

Il faut que la mère meurt, qu’elle lâche enfin ce « noir qui gagne sa puissance et nous fait mettre genou à terre à tous, autour du lit », ne pas l’encourager « à combattre encore le trou, elle n’a jamais rien fait d’autre ». Tel est le postulat de départ, or le tour de force de ce récit se fait en l’attente, de la mort justement, là où les questions demeurent, là où il n’y a pas de réponses autres que la fabrication du livre, seul aplomb, mur d’appui.

En ces pages, Marielle Hubert exhume patiemment un à un les récits des vies dont elle est née, parents, grands-parents et implicitement ceux d’avant. De leurs histoires entremêlées, elle cherche quel sens en tirer, mieux comprendre la mère, la dire, justifier la nécessité de sa mort. Et elle en appelle ainsi, aussi, à la survie des vivants. C’est un livre difficile, et pourtant la voix tient, elle fait force. Écrire dans cette attente, c’est tenir sur un fil, bien haut et délivrée en un sens la muette murée dans les fictions de l’enfance. Ont-elles et qu’ont-elles sauvé d’ailleurs ?

Puis, vient la réalité, le couperet, concluant fictions et hypothèses. Vient le moment de dire, très clairement, l’histoire d’une vie.  Hors contexte, cette page ne serait que faits divers, mais ici elle est gorgée de tous les mots lus en amont, de tous les mots tus.

Loin du désamour d’une fille pour sa mère, et en dépit de la main mise d’une « enfance passée à la seconder dans [son] industrieux projet », les voix se font relais. Aux jeux d’enfants, remparts à la dureté d’une vie, se sont substitués les mots adulte d’une fille devenue femme, écrivaine. Ils portent la trace de la mascarade filée jour après jour pour tromper l’ennemi. Ce livre est de ceux qui savent déchirer des voiles, méthodiquement : Armand le grand-père atteint de la polio, l’enfant moqué, adulte infirme violent, violeur. La grand-mère, annihilée dans le silence des bonnes mœurs de province ; et Sylvette, mère de la narratrice, Sylvette de 5 ans serrant fort ce petit cheval de bois, ultime compagnon inventé par l’autrice. Peut-on consoler par l’écrit l’enfance, l’enfance de celle qui nous a donné vie?

Sans détour, dans une langue d’une justesse implacable, Marielle Hubert déterre les pourquoi et questionne les héritages. Jusqu’où nous circonscrivent-ils ? Jusqu’où devons-nous les laisser pénétrer, nous façonner ?

Il ne faut rien dire est un livre sur le langage, sur ce qu’il peut, sur cette langue à soi seule en laquelle on questionne, triture, déplie et structure. Mais c’est aussi le récit d’une fin de vie, de l’attente d’une mort et de l’amour si ambivalent et si fort qui demeure toujours par-delà.

Marielle Hubert, Il ne faut rien dire, POL.

Marielle Hubert, Il ne faut rien dire,

P.O.L, 2024,

185p.

Emilie

 

 

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